Les chefs d'entreprise qui ont un faible pour la voile ne sont pas rares. Mais la plupart du temps, ce sont des entrepreneurs de petite ou moyenne taille qui passent leur temps libre sur l'eau. Les dirigeants des grands groupes, a fortiori de ceux qui sont cotés au Dax, n'ont généralement pas le temps de le faire. Surtout pour les longues croisières.
Il est donc d'autant plus remarquable que Timotheus Höttges ait figuré sur la liste des participants au récent Atlantic Rally for Cruisers (ARC). Le président du directoire de Telekom a commencé à naviguer à 18 ans sur l'IJsselmeer. Pour l'ARC, il s'était engagé auprès de son ami Torsten Krumm en tant que co-navigateur sur son Swan 48 "Ambra". Krumm et les trois autres équipiers sont tous des cadres supérieurs, habitués à diriger.
Comment un tel équipage de cadres dirigeants peut-il traverser l'Atlantique sans encombre ? Un entretien sur des rêves de jeunesse réalisables, des hiérarchies inhabituelles et des patrons d'entreprise dispensables.
Tim Höttges :Diriger le groupe avec ses 230 000 collaborateurs est clairement beaucoup plus complexe. Mais les deux sont responsables. Sur un bateau, le bonheur et le malheur sont incroyablement proches. Une petite erreur et toute l'aventure est terminée. Mais sur un bateau, vous avez une équipe bien définie, que vous choisissez en partie vous-même. Ou décider vous-même d'en faire partie. La hiérarchie est alors plus claire. Dans l'entreprise moderne, il n'y a pas un seul capitaine qui décide de la direction à prendre. Les processus décisionnels et l'abondance des différentes décisions à prendre sont plus complexes et plus variés.
Torsten Krumm :C'est vrai. Mais nous sommes avant tout des amis qui partagent la passion de la voile et qui sont attentifs les uns aux autres. Tim et moi nous connaissons depuis l'adolescence. Notre rêve a toujours été de traverser l'Atlantique à la voile.
Courtaud :Le capitaine ! Contrairement à ce qui se passe sur le marché, sur un bateau, il faut pouvoir réagir en quelques secondes en cas de problème.
Höttges :Les rôles sont clairement répartis : Torsten, en tant que skipper, est le patron, et je suis le second qui le soutient. Cela a bien fonctionné. Nous n'avons pas eu une seule dispute pendant les 20 jours de traversée. Je me sentais le plus à l'aise sur le pont avant, mais j'étais aussi responsable de la vaisselle.
Höttges :Pas du tout ! Je n'ai pas les compétences pour être capitaine à bord, alors je me range. De toute façon, il faut démystifier le rôle de CEO. Il n'est certainement pas facile de garder les pieds sur terre quand on est souvent courtisé et bien sûr privilégié. C'est aussi pour cela qu'une telle expérience de marin m'a été bénéfique. Toutefois, même au sein du groupe, je ne suis pas seulement à la barre, mais aussi dans la salle des machines.
Höttges :Je n'ai aucun problème avec ça. Et pour la vaisselle, je suis très douée ! À part ça, j'ai une bonne équipe chez Telekom. Je peux compter sur eux, même si je suis difficilement joignable. Le management moderne se caractérise aussi par le fait que l'on ne doit pas toujours montrer que l'on est le patron.
Höttges :Quand il s'agissait de décider du cap à suivre, c'était comme une réunion de conseil d'administration. Nous nous sommes assis ensemble, avons discuté et décidé ensemble. Dans les manœuvres, c'est une autre histoire, surtout si l'équipage n'est pas très bien coordonné. La hiérarchie classique est alors utile. D'ailleurs, c'est souvent le cas dans les crises au sein des groupes. Autre point commun : le management moderne présuppose des compétences, comme en voile. Plus l'équipage est compétent, plus on peut donner de liberté pour faire les choses seul. Le jargon managérial pour cela est l'empowerment. La question est donc la suivante : comment organiser la hiérarchie à bord de manière plus plate grâce à l'empowerment ?
Höttges :Une fois, un grain tropical nous a pris à froid pendant la nuit, nous avons réagi trop tard. Il y a eu un moment de panique à bord, les routines n'ont pas très bien fonctionné.
Courtaud :Nous aurions pu réagir plus tôt. En revanche, il y avait chaque soir un débriefing avec les questions suivantes : qu'avons-nous appris aujourd'hui ? Que pouvons-nous améliorer ?
Courtaud :Je dirais : oui ! La critique doit toujours être constructive, jamais personnelle.
Höttges :Les personnes qui font preuve d'un certain sang-froid, sans être des has been, gèrent ces situations différemment de celles qui essaient ensuite de les traiter selon un manuel, mais qui n'en sont pas capables en cas de stress. Les personnes qui ne sont pas stressées ont également moins de conflits au sein de la communauté.
Höttges :Je suis membre du conseil d'administration depuis 16 ans. Dans le cadre du dernier renouvellement de mon contrat, j'ai dit : "J'ai besoin de quatre semaines de repos". Il était important pour moi de trouver encore une fois une nouvelle inspiration et de sortir de ma zone de confort. Je voulais me mettre encore une fois mal à l'aise, quitter ma bulle d'habitudes.
Höttges :Non. Mais beaucoup ne le peuvent pas non plus. Les périodes de congé non rémunérées sont tout à fait courantes dans le management en dessous du niveau du conseil d'administration. Mais même un président de conseil d'administration est un être humain et doit avoir la possibilité de vivre ses rêves ! On ne doit pas se concentrer uniquement sur sa carrière et son travail.
Höttges :Il y en a eu beaucoup qui ont dit : "Fais-le" ! Ma femme aussi. Et il y avait beaucoup de gens dans l'entreprise qui s'inquiétaient - après tout, j'ai une grande responsabilité. Mais nous avons très bien préparé la traversée de l'Atlantique, plutôt même trop bien préparé. Et il ne s'est rien passé.
Courtaud :Nous avons justement pris toutes les précautions nécessaires en matière de sécurité.
Höttges :Il y a trois points importants. Premièrement, définis clairement où se situe ton objectif, mais ne t'appuie pas trop sur ce que tu avais prévu au départ. Tu dois toujours réagir à la situation et à ton environnement. Deuxièmement, maîtrise ton activité en détail. Il faut savoir ce que l'on fait à bord. Celui qui ne comprend pas son entreprise peut peut-être gérer, mais pas diriger. Troisièmement, l'attitude, l'esprit d'équipe et la volonté de sortir de sa zone de confort comptent. Il ne suffit pas de parler de ce que l'on aimerait faire, il faut aussi le faire.
Courtaud :Sortir de la roue du hamster professionnel et monter à bord d'un tel navire, où il ne se passe pas grand-chose en permanence, était déjà un défi pour Tim. On a pu remarquer qu'au début, il n'y était pas habitué.
Höttges :En principe, oui. Après les quatre premiers jours plutôt houleux, je me suis dit : "Qu'est-ce que tu vas faire pendant le reste de la tournée ?". Mais ensuite, dans les routines quotidiennes, le rythme personnel change énormément. J'ai par exemple écrit énormément la nuit et appris énormément de choses sur les bateaux. Il faut du temps pour cela, on ne l'apprend pas en dormant, mais seulement en se penchant sur le contenu. La journée passe très vite.
Höttges :Si. Une fois par semaine, je recevais un long briefing sur tous les sujets qui concernent Deutsche Telekom. J'ai répondu à ces mails de manière détaillée. Lorsque nous sommes arrivés à Sainte-Lucie, il y avait bien sûr beaucoup de travail qui m'attendait. À bord, j'étais en revanche très "digital detox" et focalisé sur la traversée de l'Atlantique. Nous sommes tous indispensables - et certainement pour 20 jours ! Si une entreprise de 230 000 personnes dépendait uniquement de ma présence, j'aurais fait quelque chose de fondamentalement faux. En revanche, si mon équipe fonctionne, c'est beaucoup plus précieux que si je montre toujours à quel point je suis important.
Höttges :Non.
Höttges :Absolument ! Il ne s'agit pas forcément d'une traversée de l'Atlantique. En naviguant, on peut apprendre beaucoup de choses - sur la responsabilité, sur l'attitude, sur l'empowerment, sur les contraintes, sur soi-même : C'est justement dans le calme plat que j'ai ressenti mon impatience. Mais la communion avec la nature au milieu de la mer est - attention au jeu de mots ! - très terre à terre.
Höttges :Le soir, je lisais des histoires à Torsten et je discutais avec lui de sujets que l'on n'a normalement pas le temps d'aborder. Je ne me suis vraiment pas ennuyée une seule minute. Et pendant les périodes de calme, nous sommes allés nager. C'était génial aussi.
Courtaud :C'était extrêmement divertissant - rien que les conditions d'éclairage changent constamment. On voit vraiment beaucoup de choses.
Courtaud :Non, nous avons pu parler ouvertement de tous les problèmes.
Höttges :Le plus gros conflit que nous avons eu en cours de route a eu lieu lors d'une partie de skat !