Extrait du livreYann Quenet - autour du monde en bateau de quatre mètres

YACHT-Redaktion

 · 08.01.2024

La construction de son "Baluchon" en contreplaqué revêtu n'a coûté que 4000 euros à Quenet. Il l'a habité pendant trois ans
Photo : Rémy Ravon/Delius Klasing Verlag
Le Breton Yann Quenet a fait le tour du monde à bord du bateau de quatre mètres "Baluchon" de 2019 à 2022. Son livre vient de paraître. Extrait du chapitre sur la plus longue étape : en 77 jours de la Nouvelle-Calédonie à la Réunion

Depuis plus de trois semaines, on m'invite midi et soir à des dîners d'adieu. Il est temps que cela prenne fin, je commence à avoir du ventre. D'un autre côté, cela me permet de faire quelques réserves et de ne pas avoir trop de temps pour penser à la très longue route qui m'attend.

Le matin de mon départ, plusieurs amis sont sur le quai pour me souhaiter un bon voyage et m'apporter des gâteaux, des bonbons ou des boîtes de sardines. Je suis très touchée. Le "Baluchon" est certes déjà bien chargé, mais je n'ose pas refuser.

La sortie du port et de la baie se fait tranquillement avec un vent léger. Je suis accompagné par plusieurs bateaux et même, pendant un moment, par la vedette des garde-côtes. Sur le moment, je m'inquiète et j'espère que les policiers ne viendront pas me demander les papiers du bateau et contrôler mon équipement. Mais eux aussi ne font ce petit détour que pour me souhaiter bon vent.

Après avoir quitté le chenal, je suis enfin seul. Lorsque j'ouvre la carte sur ma tablette, je suis pris de vertige. Le trajet me semble soudain démesurément long. Je me demande si je n'ai pas perdu mon bon sens. Sinon, pourquoi voudrais-je parcourir une telle distance avec un si petit bateau ?

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Douleurs et piles cassées compliquent la vie de Quenet

Pour couronner le tout, je ressens une forte douleur dans la poitrine. Dans un moment de délire hypocondriaque, je m'imagine que je suis en train de faire un infarctus, le pauvre. Je réalise que le séjour en Nouvelle-Calédonie a été plus que chaleureux et que l'idée de repartir seul peut paraître angoissante. Mais y aller avec le dos de la cuillère est un peu exagéré, d'autant plus que j'ai encore plein de choses à faire.

Le pilote automatique électrique fait son travail très consciencieusement, mais de temps en temps, il se met en veille. Je connais ce problème, il est dû à un raccordement électrique pas très propre. Je vérifie toute la ligne, je l'asperge de spray de contact et je gratte un peu les connexions, mais le problème se reproduit de plus en plus souvent. Bizarre !

Je contrôle alors les piles, et là, horreur ! L'une a tout juste 11 volts et l'autre 11,5 volts - on ne peut pas dire qu'elles soient au mieux de leur forme. Les piles ne devraient donc pas être si vides. Lorsque j'essaie de les recharger une par une, je constate que la batterie de onze volts ne se charge plus. L'autre, après une journée entière de recharge, parvient péniblement à atteindre douze volts, pour se vider à nouveau lentement au cours de la nuit, bien qu'aucun appareil ne soit branché. En bref, elles sont en panne.

Il reste à peine 6 800 miles nautiques jusqu'au prochain magasin de batteries. Pendant un moment, j'envisage de faire demi-tour et de me rendre à Koumac, une petite ville au nord de la Nouvelle-Calédonie que je pourrais atteindre en 24 heures de navigation. Mais l'idée même de repartir me répugne profondément. Non ! C'est hors de question. Je vais vers l'ouest, quoi qu'il m'en coûte !

Un régulateur d'allure artisanal appelé Bébert

Il me suffit d'inventer quelque chose pour que le "Baluchon" puisse se diriger tout seul. Pendant presque toute une journée, je réfléchis à la manière de construire, avec le peu de matériaux que j'ai à bord, une sorte de grande girouette qui agirait sur le gouvernail lorsque le bateau s'écarte de son cap. Avec une vieille plaque de contreplaqué que j'ai trouvée dans une poubelle en Guadeloupe et que je garde sous mon matelas en cas de fuite, un morceau de tube en PVC qui me permettrait de relier mes deux tangons pour former un mât provisoire en cas de besoin, ma gaffe que je scie et une grosse bobine en plastique pour enrouler les lignes de pêche, je me fabrique une girouette.

Ô miracle ! Après le deuxième essai, la girouette fonctionne parfaitement. Je suis tellement impressionné que je passe près d'une heure à observer, comme un idiot hypnotisé, comment cette installation improvisée dirige parfaitement mon bateau. Bien sûr, cela demande un peu de doigté pour tendre les lignes, et la voile doit être réglée au millimètre près. Mais le tout fonctionne sans bruit et avec une grande efficacité. C'est presque magique ! Je décide de baptiser la girouette "Bébert" (en référence à mon ami Bébert, originaire de Bretagne, qui parle sans arrêt et qui est totalement inefficace).

Satisfait, je poursuis ma route en laissant l'AIS être alimenté par la batterie la moins faible. Au cas où je croiserais un autre bateau, j'ai une lumière de navigation de secours alimentée par batterie. Je recharge ma tablette et mon e-reader directement à la sortie de l'un des panneaux solaires. Cela prend certes beaucoup plus de temps qu'avec une batterie, mais cela fonctionne parfaitement. Il aurait été vraiment trop ennuyeux que je fasse demi-tour pour cette broutille.

Deux mouettes pas très claires pour les accompagner

Lorsque j'arrive à l'entrée du détroit de Torres, entre la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le nord de l'Australie, une vingtaine de jours plus tard, c'en est fini du temps gris et maussade. Le ciel devient bleu et la mer turquoise. J'en profite pour faire sécher mon matelas et l'intérieur du bateau. Pendant une bonne semaine, la mer s'est montrée assez méchante et sournoise. Elle m'a donné plein de douches d'eau salée, surtout quand je devais sortir la tête de l'écoutille pour régler Bébert, ce qui me faisait jurer fortement.

La cabine du "Baluchon" est mouillée, collante et salée. Ça sent la moisissure, la sueur et le poisson pourri, et je n'ai plus de vêtements secs. Deux oiseaux de mer, une sorte de mouette et un spécimen brun un peu plus petit, nous accompagnent pendant deux jours. Ils se perchent de part et d'autre du bateau sur les extrémités des spis. C'est un spectacle amusant de les voir battre des ailes à chaque mouvement de roulis et essayer de garder l'équilibre.

En mer, Quenet ne quitte jamais l'intérieur du "Baluchon". Il manœuvre les voiles depuis la trappe, les fenêtres offrent une vue panoramique.Photo : Rémy RavonEn mer, Quenet ne quitte jamais l'intérieur du "Baluchon". Il manœuvre les voiles depuis la trappe, les fenêtres offrent une vue panoramique.

Alors que je me dis que ces deux oiseaux ne doivent pas être très brillants, car sinon pourquoi se mettraient-ils dans des positions aussi inconfortables alors qu'il y a des îlots stables tout autour, je réalise que je suis le dernier homme sur terre à pouvoir me permettre un tel jugement.

Le détroit, avec ses récifs dangereux et ses courants sournois, se montre très indulgent à mon égard ; il y a un vent modéré. J'ai programmé mon départ de Nouvelle-Calédonie de manière à arriver ici à la pleine lune. Je peux ainsi bien voir les récifs et les petites îles dans la nuit.

Même les garde-côtes australiens sont impressionnés

Ce que je redoute le plus depuis Nouméa, c'est la réaction des garde-côtes dans la zone australienne. J'ai entendu tellement d'histoires sur ce fameux service ! Pour quelqu'un comme moi, c'est un peu inquiétant d'avoir affaire à des gens aussi stricts.

Lorsque j'aperçois mon premier avion de contrôle, cela fait déjà 24 heures que je croise d'innombrables récifs coralliens. Ma radio portable est prête, ainsi qu'un papier sur lequel j'ai noté toutes sortes de choses qui pourraient intéresser les agents : ma date de naissance, ma pointure, le nom de jeune fille de ma grand-mère et la couleur de mon slip.

Pendant que j'attends, je me racle la gorge. Lorsque l'appel radio arrive, le fonctionnaire très poli à l'autre bout veut simplement savoir d'où je viens et où je vais avec mon petit engin. Il me demande également la taille de mon bateau, et lorsque je lui réponds, j'entends des "wow !" et des rires provenant de la cabine de l'avion. L'homme me souhaite ensuite bonne continuation dans mon "aventure incroyable". Lorsque la conversation est terminée et que l'avion s'est éloigné, j'ai le cœur serré et je suis très ému.

Quenet doit se reposer d'urgence

Malgré le manque de sommeil et la fatigue, je passe peu à peu le labyrinthe de Torres sans trop de problèmes, pour finalement passer tout près de l'île Hammond, qui se trouve juste à côté de l'île du Prince de Galles, tout au nord de l'Australie. En fait, il n'est pas nécessaire que je m'approche autant de la côte, mais je veux être à portée du réseau mobile australien pour envoyer quelques messages. Bingo ! Ça marche ! Je reçois un SMS : mon opérateur téléphonique me souhaite la bienvenue en Australie.

Je croise trois gros cargos qui se suivent en file indienne. Nos trajectoires se croisent un peu, mais j'ai suffisamment de vent pour manœuvrer et les éviter. Les cargos semblent toutefois un peu nerveux. Deux d'entre eux font retentir leur corne comme des fous.

Mon état indique que je suis vraiment épuisé. Il est urgent que je me repose et que je reprenne des forces dans les jours à venir, d'autant plus que je n'ai parcouru qu'un petit quart du chemin. Je parviens à poster quelque chose sur ma page Facebook et à envoyer quelques messages personnels. Je vérifie ensuite rapidement mes e-mails : rien d'important, j'éteins donc à nouveau le téléphone et je mets à nouveau le cap sur Westen.

Les déchets et le vent faible minent l'ambiance

Quelques heures plus tard, le détroit est enfin derrière moi. Je me prépare une grande portion de pâtes lyophilisées, puis je m'allonge pour faire une bonne sieste. J'ai réglé le réveil pour qu'il sonne 40 minutes plus tard, mais j'ai oublié de l'activer. Lorsque je me réveille près de quatre heures plus tard, il fait grand jour et je me trouve dans une zone qui grouille de cargos.

La traversée des mers d'Arafura et de Timor qui s'ensuit, au cours de laquelle je longe toujours la côte nord-australienne, est aussi ennuyeuse que déprimante. Ennuyeux parce que le vent faible vient toujours de l'arrière et m'oblige à naviguer en zigzag et à la vitesse d'un escargot de mer. Déprimant parce que la mer est pratiquement recouverte d'un tapis de déchets plastiques. C'est la première fois depuis mon départ que je vois autant de déchets plastiques. L'homme est vraiment un maudit pollueur !

Après une vingtaine de jours, j'atteins enfin l'océan Indien. Le rythme lent me rend presque fou. À peine 100 miles nautiques après le point le plus à l'ouest de l'Australie, le vent tourne enfin au sud-est. Mais ce n'est pas un alizé de fillette comme dans le Pacifique.

100 miles nautiques par jour dans une mer agitée

Pendant presque tout le reste du parcours, le vent va rester à 30 ou 35 nœuds, ce qui est assez impressionnant pour un bateau de quatre mètres. Mais je sens que mon petit "Baluchon" est dans son élément et qu'il est heureux de se battre contre la mer et le vent. Ma moyenne journalière est rarement inférieure à 100 miles nautiques, même si la mer est assez agitée. Parfois, lorsque le vent tombe et que la mer est un peu moins agitée, j'arrive à parcourir jusqu'à 120 milles par jour, ce qui me change de ma misérable moyenne australienne.

Pour avoir une idée des conditions dans lesquelles je me déplace, il suffit de s'imaginer dévaler en bobsleigh une piste de ski noire de près de 6000 kilomètres, préalablement pilonnée en continu par l'artillerie d'une armée teutonne très motivée.

Le minuscule bout de voile se met à trembler comme un alcoolique breton atteint de la maladie de Parkinson

Plusieurs fois par jour, le "Baluchon" est envoyé directement sur le tapis par les coups les plus violents. S'ensuit un bref moment de silence avant qu'il ne se redresse et affronte le vent. Le minuscule morceau de voile se met à trembler comme un alcoolique breton atteint de la maladie de Parkinson, ce qui provoque des vibrations insensées dans tout le bateau. Puis Bébert remet lentement le "Baluchon" sur les rails, et il s'attaque aux prochaines vagues.

Manger, dormir et lire dans la minuscule cabine

Je parviens à développer une sorte de sixième sens : Lorsque je sens que nous sommes sur le point de recevoir une nouvelle charge et de nous coucher sur le côté, je cale mes pieds contre le plafond pour ne pas être éjecté de ma couchette. Tous les objets qui ne sont pas attachés sont également catapultés dans les airs lors des chocs. Mon couteau suisse, ma lampe frontale et mes lunettes de lecture volent plus d'une fois dans l'"immensité" de la cabine. Il me faut à chaque fois une éternité pour les retrouver dans le bateau qui roule comme un fou.

Coincé au mieux dans ma couchette, j'essaie tant bien que mal de continuer à mener une vie "normale". Je passe mon temps à rêver, à lire, à manger froid et à dormir. Quand j'ai assez de courant pour ma tablette, j'écoute "La Grange", mon morceau préféré de ZZ Top, en boucle. Je trouve que ce bon vieux rock s'adapte parfaitement aux conditions et au rythme de ce voyage.

Par ailleurs, je relis "Le vieil homme et la mer" et je me pose la même question que lorsque je l'ai lu pour la première fois à l'âge de onze ans : Pourquoi le vieil homme, lorsqu'il avait encore son couteau, n'a-t-il pas découpé plus de morceaux dans l'espadon avant que les requins ne lui arrachent tout ?

Je me remets aussi à lire Baudelaire, mais cette fois-ci à haute voix. Je me tiens debout dans l'écoutille et je reçois de temps en temps une charge d'eau sur le visage. Je récite ainsi les vers à l'océan, pour quelques poissons volants et oiseaux de mer qui ne semblent pas s'y intéresser le moins du monde.

Dans le port de La Réunion, Quenet déplace son bateau avec une courroie de wrigg, le petit bateau n'a pas de moteur.Photo : Rémy RavonDans le port de La Réunion, Quenet déplace son bateau avec une courroie de wrigg, le petit bateau n'a pas de moteur.

La Réunion est atteinte après 77 jours

Lorsque l'île de La Réunion est en vue après 77 jours de mer, je suis très heureux. J'ai vraiment dépassé mes limites pendant cette très longue étape et j'ai beaucoup appris sur moi-même et sur la mer. Mis à part l'épisode de la batterie, je n'ai pas vraiment eu de problèmes techniques. J'étais bien approvisionné en nourriture et en boisson, car en plus des 110 litres d'eau que j'avais à bord au départ, j'ai récupéré une trentaine de litres d'eau de pluie et traité une dizaine de litres d'eau de mer avec le dessalinisateur manuel.

Alors que j'aborde les derniers miles nautiques le long de la côte, mon téléphone portable capte le réseau français pour la première fois depuis 20 mois. Je reçois un SMS : "En ce moment : 25% de réduction sur les plaquettes de frein chez votre concessionnaire". La batterie 1 est définitivement morte et la batterie 2 affiche entre sept et huit volts.

Je fais entrer le bateau dans le port à l'aide de la courroie de Wrigg. Sur le quai, toutes sortes de personnes sont venues me saluer. C'est la première fois que cela m'arrive depuis le début de mon voyage. Quelqu'un brandit même un drapeau breton. Mais lorsque j'arrive sur le ponton, mes jambes ne m'obéissent presque plus. J'ai énormément de mal à marcher droit. Je suis un peu gêné. Tout le monde doit penser que je suis complètement ivre et que j'ai exagéré avec la bouteille de rhum qu'on m'a offerte au départ. Cela doit donner une assez mauvaise image de la Bretagne !

Dès que les formalités portuaires et douanières sont remplies, les gens font la queue sur le ponton pour me parler ou m'apporter quelque chose à boire ou à manger. Après une si longue période de solitude en mer, cela me fait tout drôle.


Le livre sur le tour du monde à la voile

Photographe : Delius Klasing VerlagPhotographe : Delius Klasing Verlag

Le navigateur français en solitaire Yann Quenet raconte son aventure extraordinaire avec le voilier minimaliste de quatre mètres "Baluchon" dans le livre "Mein Tiny Boot" qui vient de paraître et qui comporte 215 pages avec de nombreuses photos et illustrations.


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