La vie à bord d'un voilier et dans les ports offre bien des rencontres bizarres. L'auteur Steffi von Wolff raconte dans sa glose"Le territoire de Wolff" régulièrement de ses expériences en tant que femme de bord. Pas toujours au sérieux, souvent satiriquement exagéré, mais toujours avec beaucoup de cœur et un clin d'œil. Cette fois-ci, il s'agit de l'amarrage, ou plutôt du fait que parfois, il ne s'agit même plus de l'amarrage, mais de tout autre chose.
Par un beau samedi après-midi, je suis assis dans le cockpit de notre bateau. C'est merveilleusement calme. Mon mari est parti faire des courses.
"Oh, regarde, la boîte devant, à côté du planeur à moteur rouge. Il y a même des défenses sur pilotis, c'est super", entends-je en levant les yeux de mon livre. Lentement, un bateau passe devant notre place d'amarrage. A l'avant, une femme sympathique d'une quarantaine d'années, à l'arrière, un homme du même âge à l'air stressé, comme c'est souvent le cas. Un jeune labrador est assis là et il est tout simplement adorable.
"La boîte est trop grande. On ne fait pas ça !", s'exclame maintenant l'homme.
"Elle ne l'est pas, il est écrit trois mètres quarante, ça correspond".
"Je ne vais pas me ridiculiser."
"Pourquoi le devrais-tu ?"
"Je ne vais pas aller dans un box avec des défenses sur pilotis, seuls les retraités font ça".
"Je vois", dit la femme avec un léger sous-entendu venimeux. "Mais nous avons aussi des défenses de pieux sur notre amarrage".
"Et alors ? Là-bas, on me connaît aussi", dit l'homme.
Hein ? Je pose le livre.
"Cet endroit est super", dit la femme en agitant la laisse. "Prenons-le".
"Non, je ne vais pas prendre la première place. Il y en a sûrement de meilleures". Eh bien, cela pourrait être mon mari. Ce n'est pas la seule fois où nous avons fini par nous retrouver dans un paquet à côté d'un bateau d'enterrement de vie de garçon, parce qu'il ne faut en aucun cas prendre la première place. Il y en a tellement d'autres et de meilleures.
"Nous sommes déjà passés par tous les pontons". Maintenant, la femme s'énerve vraiment. "En plus, j'ai faim, je n'ai pas envie de rester ici pour toujours. Je dois aussi partir avec le chien". Le chien semble acquiescer.
"Il faut qu'il apprenne", dit-on à la roue.
Un bateau avec un équipage masculin passe devant eux en les saluant et on se décide pour la place avec les défenses sur pilotis.
"Super, Roland", crie la femme en jetant la corde sur le pont avant. "Maintenant, il n'y a plus de place".
"Je n'en voulais pas de toute façon, ne fais pas d'histoires, tu es gênant".
"Ah, c'est moi qui suis gênant ? Je pense plutôt que c'est TOI qui es gênant. Je ne suis pas un retraité qui va sur une place avec des défenses sur pilotis. Le port est plein à craquer. Et maintenant ?"
"Ne fais pasde tout un drame".
Oha, ça va être amusant. Il s'agit en effet de représentants de l'espèce "Padibast", ce qui signifie bien entendu "couples qui se disputent en s'amarrant".
Des padibasts, il y en a dans tous les ports. Pendant qu'ils errent avec leur bateau à la recherche d'une place d'amarrage, il y a des disputes qui vont souvent jusqu'au bout. Dans une écluse, nous avons vu le propriétaire d'un voilier à moteur frapper sa partenaire avec un pare-battage parce qu'elle n'avait pas bien amarré son bateau. Elle est alors descendue du bateau et s'est enfuie, furieuse. Je me demande souvent comment ce genre d'histoire va se poursuivre.
Revenons aux Padibasts d'aujourd'hui.
"Je ne fais pas de drame, je regarde juste les choses en face. Il n'y a plus rien de libre ici, sauf là-bas la petite place à côté du Dehler".
"Eh bien, on peut le prendre". Roland enclenche la marche arrière.
"Il est minuscule, on ne peut pas y entrer".
"Ah Antje ! Ne vois pas toujours les choses en noir. Tu es tellement négative. Tu fais un drame de tout. Des plus petites choses. Derien tu fais une catastrophe".
Antje reprend son souffle. "Ah oui ? Donne un exemple".
"Que le chien doit soi-disant toujours être. Que tout est trop petit ou trop grand ou trop sucré ou trop bête ou trop salé ou que sais-je encore".
"Trop salé ? Qu'est-ce qui a déjà été trop salé pour moi ?"
Roland se dirige vers ce qu'il considère comme une place trop petite et ne répond tout simplement pas. Chez beaucoup de femmes, c'est une erreur qui peut avoir des conséquences fatales.
"J'ai demandé ce qui était trop salé chez moi !" La voix d'Antje est maintenant très forte.
"Je ne sais pas. Mais en parlant de salé, tu assaisonnes toujours avec trop de sel".
"Dit l'homme qui met un kilo de sel sur chaque œuf, dans chaque soupe et sur chaque steak. Et se rend impopulaire dans les restaurants. 'Il me faut encore du sel'", l'imite-t-elle. "Même si tu n'as pas encore goûté. Parce que c'est comme ça".
"Oui, oui, bla, bla". Roland accélère et fonce vers le box, puis se coince entre les piquets, et Antje tombe sur les fesses. Le labrador aboie de terreur, puis lève la jambe et le rayon touche le jean d'Antje.
Elle se lève et ressemble maintenant à un ange vengeur sous LSD.
"NE T'AIS-JE PAS DIT QUE LE CHIEN DOIT", crie-t-on à Roland, qui devient rouge de colère parce que le bateau ne peut plus avancer ni reculer. Le rugissement du moteur pourrait réveiller les morts.
"Toi et ta putain d'arrogance, ma mère a toujours dit de faire attention à Roland, il sait tout mieux et tous les autres sont stupides, c'est ce qu'elle a dit. Et elle a raison. Maintenant, regarde, la place est trop petite, tu n'as même pas besoin de regarder comme ça".
"Tu fais le malin !"
"Je me posepas à. Tu dis toujours ça quand tu ne sais pas quoi faire. L'autre jour, à l'anniversaire, tu as flirté avec Britta et tu as aussi dit que je me mettais en avant. Ah, tu as de beaux yeux, Britta, ils sont tout bleus. Tes yeux aussi seront bientôt bleus !" La voix d'Antje chavire tandis que le labrador hurle puis fait ses grandes affaires. Sur le pont en teck, comme je peux le voir.
Roland semble désormais désespéré, car rien ne va plus.
"Tant qu'on y est !", crie-t-il maintenant vers l'avant. "Mon Maman a dit que Britta est une de ces femmes qui sont toujours stressées alors qu'il ne se passe rien et que tout devient toujours un drame. Hach, je n'ai pas eu de steaks, hach, tout le monde a des poux à la crèche, hach, la Porsche doit être révisée, je vais encore avoir une voiture de location embarrassante, hach, hach, hach ! J'EN AI PLUS BESOIN !", crie-t-il à Antje.
Le labrador en a assez et se jette tout simplement à l'eau.
"NA BRAVO !", crie-t-elle. "Fais quelque chose, sinon le Schtroumpf va se noyer !"
Je n'ai pas cette impression, Schlumpf s'en va simplement à la nage. Il en a assez.
"Oui, qu'est-ce que je peux faire !", rétorque Roland. "Tu peux bien avoir une idée de temps en temps".
"Avoir une idée !", l'imite Antje. "Mais qu'est-ce que tu as comme idées ? Que des idées débiles. Et toi ... tu ... tu ne fais même pas la cuisine sur le bateau ! Tu ne sais même pas faire ça !"
"Que dois-je faire de pluscuisiner? D'habitude, je fais tout pour que Madame soit contente".
"Tu ne cuisines même pas de l'émincé de porc avec du riz, alors que tu sais que j'adore ça".
"Alors, fais-le toi-même !", bêle Roland.
"Le mieux, c'est que je fasse tout toute seule à l'avenir !", crie Antje. "C'est mieux. C'est ce que dit ma mère !"
"Et ma mère dit que tu devrais jeter Antje par-dessus bord si elle fait des bêtises comme ça !", hurle Roland.
"Tu fais toujours comme si tu pouvais tout faire mieux ! Mais ce n'est pas le cas !", hurle Antje, dont les cheveux se dressent maintenant sur la tête. "Tu es stupide ! Tu es stupide ! Ou qui a mis la brosse à WC dans le lave-vaisselle ? C'était moi ? C'est moi qui ai fait ça ?"
Dans quelques instants, elle va devenir complètement folle. Elle se redresse et veut se diriger d'un pas fort vers l'arrière de son mari, probablement pour l'assassiner d'un coup de tranche de main bien placé, mais malheureusement elle glisse sur l'arrière-train de Schlumpf, trébuche, et tombe dans le bassin du port.
Roland enclenche la marche arrière et d'un seul coup, le bateau se propulse vers l'arrière. Je me lève et vais d'abord voir si Antje va bien. Elle nage méchamment derrière Schlumpf. Il y a des échelles derrière.
Mon mari revient des courses.
"J'ai apporté des escalopes de veau", dit-il. "Ce soir, je vais te faire à manger. De l'émincé avec du riz, c'est ce que tu aimes".
Je suis très, très reconnaissant.
Bon week-end !