"Energy Observer"Un ex-catamaran de course explore les énergies alternatives

Nils Theurer

 · 29.10.2023

Outre une pile à combustible avec sa propre production d'hydrogène, le bateau est propulsé par des voiles à ailes souples
Photo : Energy Observer/Antoine Drancey
La coque était autrefois le catamaran le plus grand et le plus rapide du monde, il a déjà fait quatre fois le tour de la terre. Aujourd'hui, l'"Energy Observer" fait le tour du monde pour tester de nouvelles technologies de propulsion et de production d'énergie.

Charleston, sur la côte est de l'Amérique du Nord : le 22 mai 1819, le "Savannah", long de 30,5 mètres, prend la mer en direction de Liverpool. Il s'agit de la première traversée de l'Atlantique par un bateau à vapeur. Mais aucun passager ne monte à bord et personne ne confie de cargaison à ce fumigène dernier cri, le scepticisme est trop grand. La traversée se déroule sans encombre, mais les roues à aubes rétractables ne sont utilisées que 80 heures par temps calme. Une vitesse de 8 nœuds est possible à la force des machines, le reste du temps, on navigue, le "Savannah" est gréé de manière traditionnelle. Au large de Liverpool, on s'échauffe encore une fois avec coquetterie, à terre on croit qu'un bateau en feu va arriver.

Exactement 200 ans plus tard, l'"Energy Observer", long de 30,5 mètres, était amarré à Hambourg. Ses concepteurs espèrent que les deux bouées acérées comme des couteaux ouvrent la voie à une nouvelle ère sans cheminées fumantes. Une pile à combustible alimente les deux moteurs électriques. Pour stocker leur carburant - de l'hydrogène - huit réservoirs de plus de deux mètres de long et de l'épaisseur d'un plateau reposent sur les ponts avant. Ils contiennent chacun 322 litres ou près de 8 kilogrammes d'hydrogène à une pression de 350 bars. L'hydrogène y attend d'être brûlé à froid, une réaction électrochimique qui produit de l'électricité et de la chaleur - ainsi que de l'eau comme seul déchet. Avec cette configuration, le catamaran ressemble à une voiture à pile à combustible ou à hydrogène. Mais ici, l'hydrogène est également produit à bord, ce qui constitue le point fort de ce catamaran.

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Toute l'énergie nécessaire à sa production, à la cuisine, à l'eau chaude et à l'électronique est produite à bord, jusqu'à présent par 165 mètres carrés de cellules solaires. Transformer le soleil en propulsion, c'est pourtant ce qu'a déjà réussi à faire le "Turanor Solar", un bateau à moteur de 31 mètres construit sur le chantier naval Knierim de Kiel. Il a fait le tour du monde de 2010 à 2012 en suivant la route ensoleillée des pieds nus. Aujourd'hui, il s'appelle "Race for Water", et après une transformation, il dispose lui aussi d'une électrolyse embarquée et de 200 litres d'hydrogène dans des réservoirs sous pression. Les deux projets prennent donc de la vitesse dans la même direction. La différence réside toutefois dans l'utilisation du vent. De plus, l'"Energy Observer" est le bateau qui a un passé de voilier.

Leurs coques ont été construites en 1983 au Canada sous le nom de "Formule Tag", le plus grand catamaran du monde à l'époque. Le skipper Mike Birch a été le premier à parcourir une distance de 500 milles avec ce monstre en fibre de carbone. Robin Knox-Johnston et Peter Blake l'ont doté d'un nouveau gréement et la surface de voile est passée de 440 à 526 mètres carrés. En outre, la carène a été dotée d'une seconde peau - pour plus de sécurité. Lors de sa deuxième tentative, en 1994, il a réussi, sous le nom d'"Enza", à faire le tour du monde en 74 jours et 22 heures dans le cadre du Trophée Jules Verne.

De la chèvre de course au navire de recherche

Tracy Edwards a acheté le catamaran en 1996, il s'appelait désormais "Lady Endeavour", puis "Royal Sun Alliance". Il a pris le départ du Trophée Jules Vernes 1998 avec un équipage féminin, mais le mât s'est cassé le 43e jour. Toni Bullimore a acheté et rallongé les coques, a fait le tour du monde avec dans "The Race" sous le nom de "Team Legato" en 2001 et une nouvelle fois en 2005 lors de la "Oryx Quest", à nouveau après avoir été rebaptisé, cette fois-ci "Team Deadalus". Dans une annonce de vente de 2008, 585.000 livres sterling, soit environ 670.000 euros, ont été demandés. Mais apparemment, aucun acheteur ne s'est manifesté. Lors d'un transfert, le bateau a chaviré en 2009 dans le golfe de Gascogne par 4 Beaufort, sans faire de victimes. En 2013, l'équipe d'"Energy Observer" a racheté le catamaran et l'a transformé à partir de 2015 pour de nouvelles tâches.

Le navire a entamé son quatrième tour du monde à l'aide de l'énergie éolienne et solaire. Victorien Erussard est l'initiateur du projet. Pendant dix ans, cet homme de 44 ans a été actif sur la scène française de la course au long cours. Selon Erussard, la voile de régate est passionnante, mais aussi assez égocentrique et n'apporte en fait rien au reste du monde. "Quand j'ai eu un black-out électrique au milieu de l'Atlantique pendant la Transat Jacques Vabre, la situation m'a semblé stupide, alors que tout autour, il y avait une énergie débordante grâce au vent et au soleil". La panne d'électricité à bord a marqué la naissance du projet "Energy Observer".

A partir de 2013, Erussard a cherché des sponsors pendant deux ans, et la transformation a duré deux ans de plus. Le déplacement a été doublé pour atteindre 31 tonnes, les coques ont donc été dotées de bourrelets de flottaison. Les hottes de protection contre les vagues au-dessus des descentes dans les deux coques sont restées. Les beams sont également les mêmes. La nacelle, qui était à l'époque plutôt une capsule de navigation entre les beams arrière et centrale, a été remplacée par une coque centrale relativement opulente qui s'étend de l'avant à l'arrière. Sa forme aérodynamique ressemble à un énorme grain de riz.

"Energy Observer" utilise la pile à combustible et le solaire

"Refermez, s'il vous plaît", lance Jean Baptiste Sanchez en entrant dans le grain de riz pour éviter que la pluie de Hambourg ne s'y engouffre. Il est l'un des trois capitaines de l'"Energy Observer" qui se relaient sur le pont toutes les quelques semaines. Le catamaran est en route sept mois par an, le reste du temps étant consacré au bricolage. Les portes coulissantes, refermées à la volée, donnent accès au salon chauffé à l'électricité. À bâbord, la cuisine avec cuisinière à induction et lave-vaisselle, suspendue visuellement au-dessus du plancher de la cabine par des bandes lumineuses, à tribord le salon. Vers l'avant, on accède aux toilettes, aux cinq chambres et au compartiment douche. 500 litres d'eau chaude sont à disposition. L'eau de refroidissement de l'électrolyse chauffe à 45 degrés, celle des moteurs électriques à 59 degrés, et la pile à combustible produit 72 degrés de chaleur résiduelle.

Le flux d'énergie est représenté en continu sur deux écrans, comme dans une centrale électrique. Le quart supérieur symbolise les dix groupes de cellules solaires qui alimentent un bus de 400 volts via dix chargeurs. Celui-ci alimente soit directement les moteurs électriques de 41 000 watts, soit les deux bancs de batteries : avec 400 volts, deux accumulateurs de 56 kilowattheures sont disponibles. Il y a également deux accumulateurs de 24 volts d'une capacité de 8 kilowattheures chacun. Calculées sur 12 volts, on obtient ainsi plus de 10 000 ampères-heures : 100 batteries de voiture côte à côte. Encore une comparaison : les réservoirs d'hydrogène stockent en plus 20 fois plus d'énergie, le tout consigné sur les deux moniteurs. "C'est mon premier regard quand je me lève - et mon dernier avant la couchette".

Optimisations permanentes

L'énergie peut aussi être directement transférée du bus à l'électrolyse. Le catamaran flotte déjà dans l'élément. Toutefois, une pompe à membrane doit d'abord dessaler l'eau de l'Elbe. Le filtrat suffit pour les pâtes et la cellule humide, mais l'électrolyse nécessite de l'eau distillée. Pour cela, elle est à nouveau filtrée dans une pompe à membrane. De cette installation située dans la coque bâbord, l'eau est acheminée par une conduite en acier inoxydable de l'épaisseur d'un doigt vers l'électrolyse située à tribord ; en principe, un courant est appliqué à l'eau, les molécules d'eau se scindant alors en une molécule d'hydrogène et une molécule d'oxygène. C'est censé diviser.

L'"Energy Observer" n'est pas une construction en série. On optimise constamment les choses, il y a aussi des défauts. "Le deuxième étage du compresseur a besoin d'une nouvelle membrane, la douzième dans douze mois", grogne Hugo Devedeux, l'un des quatre ingénieurs de bord. Il espère avoir installé la nouvelle pièce avant le départ, car ils veulent appareiller avec des réservoirs d'hydrogène remplis.

"Ocean Wings" au lieu du kite

Certes, les panneaux solaires fournissent 24 kilowatts dans le cas optimal, soit 14 kilowatts de plus que ce qui est nécessaire pour la propulsion, mais cela ne suffit pas pour assurer les nuits, les matins et les soirs. Jusqu'au début de l'année, deux éoliennes et un cerf-volant étaient encore installés pour cette raison. "Le problème, c'est que les éoliennes étaient certes performantes, mais qu'elles freinaient énormément lorsqu'elles étaient face au vent", explique Sanchez. Le cerf-volant du fabricant français Beyond the Sea a également été abattu entre-temps.

Le bureau d'études français VPLP, basé à Vannes et Paris, développe des gréements à ailes pour les bateaux de croisière et les cargos, testés dans un premier temps sur un petit Daysailer- Tri. L'"Energie Observer" est équipé depuis deux semaines de la première paire d'"Ocean Wings" de 30 mètres carrés chacune. Les mâts ne semblent mignons que par rapport à la longueur du bateau, ils mesurent douze mètres de haut. Chaque aile possède deux segments mobiles. Ils rappellent ainsi les gréements de l'America's Cup, mais aussi les gréements polarisants des planesail et wingsail construits par John Walker, dont quatre exemplaires ont été construits entre 1997 et 2001. Ceux-ci ont été fabriqués par le Groupe Constructions Industrielles de la Méditerranée (CNIM).

Bien que les deux mâts soient équipés de boutons de commande pour une utilisation manuelle, le réglage se fait généralement depuis le poste de pilotage surélevé. En fait, l'entoilage est en toile de polyester conventionnelle. Des pistons hydrauliques règlent automatiquement les parties de l'aile en fonction du cap, de la vitesse et de la force du vent, le mât tourne à l'électricité. Lors de l'unique passage à la voile entre les Pays-Bas et Hambourg, 10,5 nœuds ont été atteints par 20 nœuds de vent. L'angle de virement est censé être de 70 degrés, le catamaran possède encore ses dérives du temps de la voile.

"Energy Observer" comme générateur

Pour se contenter de l'énergie autoproduite, la vitesse de marche du moteur électrique du catamaran est de 5 nœuds. Les voiles augmentent alors la vitesse et l'autonomie, une sorte de "croisière danoise" autosuffisante en énergie.

"La semaine prochaine, les paramètres du chargeur seront adaptés et nous pourrons alors utiliser les moteurs comme générateurs", s'enthousiasme Hugo Devedeux à propos de la récupération prévue. On s'attend à des pertes de vitesse allant jusqu'à 4 nœuds, et jusqu'à 5000 watts seront alors injectés, au choix, dans les batteries ou dans la production d'hydrogène.

L'objectif est d'augmenter la vitesse moyenne. Le bateau, gorgé de soleil, a fait une tournée en Méditerranée, s'est arrêté près de Saint-Pétersbourg, a contourné le Cap Nord pour rejoindre le Spitzberg - avant de faire le tour de la Terre.

Partenaires pour l'innovation

Trois camions amènent le "village" dans plusieurs des cent ports prévus. Il comprend des panneaux d'affichage, un bureau, des tentes hémisphériques pour des projections vidéo, des conférences et une exposition. Tout cela est rendu possible par un budget annuel de 2,5 millions d'euros. Les camions d'un sponsor font partie des modèles les plus efficaces disponibles, assure Sanchez. Même l'annexe, jusqu'ici équipée d'un moteur à combustion, devrait bientôt être transformée en pile à combustible avec moteur électrique, un fabricant allemand serait en discussion.

En 2019, Toyota Europe est devenu partenaire. Les six membres du service de presse expliquent que les véhicules à pile à combustible de série du Japonais s'intègrent bien dans le portefeuille. De son côté, Toyota espère attirer davantage l'attention sur les modèles à carburant, considérés comme plus avantageux que les véhicules à batterie. Depuis 2020, le projet a également inscrit l'éducation au changement climatique à son agenda. Le fait d'atteindre le Svalbard, où les effets sont perceptibles, a joué un rôle déterminant dans cette démarche.

Après sa traversée de l'Atlantique, le "Savannah" a entrepris un voyage circulaire avec pour étapes Stockholm, Saint-Pétersbourg, Kronstadt, Copenhague et Arendal en Norvège. Mais le concept n'a pas trouvé d'adeptes à l'époque, et financièrement, ce fut un coup d'épée dans l'eau. La machine à vapeur fut démontée et vendue, le "Savannah" navigua comme cargo sans moteur jusqu'à ce qu'il s'échoue en 1821 au large de Long Island et soit démonté sur place. Vingt ans plus tard, un trafic régulier de bateaux à vapeur s'est développé, y compris à travers l'Atlantique. Le "Savannah" était en avance sur son temps.

Données techniques de l'"Energy Observer

yacht/energy-observer-2019-pr-20180825-ad-ibiza-00005_35cf47cde6125504e18fbba6a3320d69Photo : Energy Observer
  • Longueur de la coque :30,5 m
  • largeur :12,8 m
  • Profondeur :2,20 m
  • Refoulement :31 t
  • Surface de voile :2 x 30 m²
  • Moteur :2 x 41 kW

Cet article est paru pour la première fois dans YACHT 13/2019 et a été mis à jour pour cette version en ligne.


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