Il semble un peu déplacé. Sur le ponton extérieur du port de régate "La Base" de Lorient, le Rustler 36 du début des années 80 est posé comme un vestige des jours passés - comme un vieillard qui veut participer à la fête des jeunes.
D'habitude, ce sont plutôt les voitures de course de la scène de la voile qui sont amarrées sur ce ponton à Lorient. Ainsi, en ce mardi matin de mai, le maxi-tri "Gitana 17" a été remis à l'eau pour la première fois après sa pause hivernale. La star de la voile Ian Lipinski règle le gréement avec son équipe quelques bateaux plus loin, et l'Imoca "PRB" flambant neuf attire les regards avec sa coque orange futuriste. Ceux qui se promènent dans le port portent des vêtements de sponsors et travaillent pour l'une des équipes de voile professionnelles qui ont leur siège ici, sur la côte. Et au milieu de tout cela, le vieux GFK. Mais en y regardant de plus près, on s'aperçoit qu'il est lui aussi une minuscule pièce de la mosaïque de la voile à Lorient, et non pas un yacht de croisière exotique qui a pris un mauvais virage lors d'une croisière. Ici aussi, "PRB" - un commerce français de matériaux de construction - est mentionné de manière proéminente sur la coque. Là aussi, tout porte à croire que son skipper a de grands projets pour lui. De très grandes choses.
Damien Guillou veut faire le tour du monde à bord d'un voilier de 10,80 mètres. En solitaire et sans escale lors de la Golden Globe Race, dont le départ est prévu le 4 septembre aux Sables-d'Olonne. Une bonne vingtaine de courageux du monde entier veulent alors s'affronter autour du globe ( Informations sur les régates, voir ci-dessous ). Ils sont tous animés par le goût de l'aventure et l'espoir de bien figurer - voire de gagner - dans cette course autour du monde réservée aux amateurs, mais aussi à quelques professionnels. Damien Guillou fait partie de ces derniers, même si son nom n'est pas encore connu de beaucoup. Ce joyeux drille de 39 ans au visage tanné par le soleil gagne sa vie dans le milieu de la course au large en France. Dernièrement, il a travaillé comme préparateur pour le skipper du Vendée Globe Kevin Escoffier, qui est sous contrat avec le même sponsor. Aujourd'hui, Damien est lui-même skipper et prépare un bateau avec l'aide d'autres personnes pour une course de hussards autour du globe.
Aujourd'hui, nous devons faire un petit test au large de la côte, dans des conditions agréables de début d'été, avec 20 degrés et 11 nœuds de vent - si tant est qu'il y en ait. Malgré le jour de la semaine, il y a beaucoup de trafic dans le chenal devant Lorient. Damien hisse pourtant rapidement les voiles et active même le régulateur d'allure. "Ça ira", dit-il en riant. Il est d'ici, il connaît le golfe de Gascogne et la côte atlantique depuis son plus jeune âge. Il vit à Port-la-Forêt et, pour cette journée d'entraînement qu'il associe à une rencontre avec ses sponsors, il a fait faire à son bateau les 30 miles nautiques qui séparent cette ville de Lorient. En fait, ce ne sont pas les conditions dans lesquelles il se prépare à l'aventure qui l'attend. Dans les semaines à venir, il a plutôt l'intention de partir par 40 nœuds ou plus et de naviguer vers le plateau de Gascogne pour y chercher les conditions les plus difficiles possibles. Il veut tester si tout tient à bord dans la mer redoutable qui y règne en cas de tempête.
Au cours des douze derniers mois, ce père de famille sportif a tout, absolument tout, préparé sur le Rustler pour ce type de navigation à la voile, avec le soutien d'un préparateur et d'amis de la voile comme Vincent Riou, qui a remporté le Vendée Globe en 2005. Il y a par exemple le Dodger au-dessus de la descente. Le toit orange vif, visible de loin, a été adapté à la taille de Damien (1,84 m). Debout dans le cockpit, il peut regarder par-dessus, mais aussi bien travailler en dessous. Des fenêtres dans le toit lui permettent de voir les voiles en train d'être réglées. Des films transparents peuvent être abaissés par le haut et maintiennent les éléments à l'extérieur.
Pour pouvoir barrer depuis la descente, le skipper peut fixer un long tube sur la barre. Mais c'est justement là qu'il n'y a actuellement rien. Dans un empannage breveté, la pointe de la barre franche s'est brisée devant un ferrage. Il s'en réjouit. "Je veux trouver tous les points faibles en amont !" Bien sûr, le navigateur en solitaire veut barrer le moins possible lui-même sur les quelque 30 000 milles de navigation. Ainsi, il peut également régler l'angle d'attaque de son régulateur d'allure de type Hydrovane à l'aide d'un renvoi de ligne de la poupe à la descente. Il s'est déjà familiarisé avec son installation lors de sa course de qualification de 2 000 milles nautiques. Il a opté pour ce modèle sur les conseils de Jean-Luc Van Den Heede - le vainqueur de la Golden Globe Race 2018 -, notamment parce qu'il possède son propre safran, qui lui permettrait de barrer en cas de casse. Damien ne veut rien laisser au hasard : Pour l'Hydrovane, un remplacement complet est à bord, et pour le sextant, pas moins de deux. "Je fais ce que je peux".
D'autres équipements spéciaux trônent à l'arrière : un hydrogénérateur pour la production d'électricité, un isolateur dans l'étai arrière pour la radio à ondes courtes. Un réflecteur radar actif est monté sur le bastingage ("exigence de la direction de course"), à côté d'une antenne pour le fax météo. En dessous, le point fort de Damien : un vieux log de remorquage. Il l'a trouvé et monté à bord après l'avoir acheté. Lorsqu'il lance la minuscule hélice à l'arrière au bout d'une fine ligne, l'affichage analogique indique la vitesse et la distance enregistrée. Du moins en théorie. "La vitesse n'est pas correcte, mais la distance l'est", se réjouit le navigateur. La navigation GPS sera en effet taboue lors du tour du monde, tout comme de nombreuses autres commodités sur les yachts modernes. Damien a emporté dix lignes de rechange pour le pavillon de remorquage. Il a fait reproduire la petite hélice en modèle 3D et l'a fait fabriquer par une entreprise spécialisée. "Sans cette pièce, ma navigation ne fonctionnerait pas", dit-il.
Le gréement a également été préparé à toutes les éventualités - le mât, la bôme et le matériel dormant sont nouveaux. Contrairement à Van Den Heede, il n'a pas opté pour un mât plus court. "C'est quand même une course ! Nous avons pris d'autres mesures". Ainsi, le mât n'est désormais plus sur le pont, mais traversant sur la quille. Et il y a deux paires de barres de flèche au lieu d'une seule. Des rivets le long du profil du mât indiquent la présence d'un autre profil, à l'intérieur, qui renforce le mât. "Si je chavire, c'est pour éviter qu'il ne se brise dans sa partie inférieure", explique Damien.
Sur le Rustler, il y a un étai fixe avec enrouleur, un deuxième étai démontable et un troisième, également démontable, pour le foc de tempête. Toutes les voiles sont empilées dans des sacs dans la cabine avant. Le Français l'a entièrement vidée de son contenu et peut désormais y descendre de l'extérieur à l'aide d'une échelle. Depuis le salon, on y accède par une porte étanche. Tout à l'avant se trouve une ancre - au cas où. Si tout se passe bien, il n'en aura pas besoin. Même lors des escales médiatiques obligatoires au Cap, en Tasmanie et en Uruguay, aucune manœuvre d'ancrage n'est prévue. Il suffit de baisser brièvement les voiles, de donner des interviews, puis de continuer. Le navigateur en solo dormira dans la couchette pour chien à bâbord, derrière le poste de navigation. C'est là que se trouvent les ceintures avec lesquelles il peut s'attacher. "C'est une exigence de l'organisateur", explique Damien. "Je ne sais pas encore si je vais vraiment le faire". En revanche, il a remplacé son matelas par un autre qui sèche rapidement.
Des voiles sous le vent seront hissées en permanence devant les couchettes du salon. C'est là que sont stockés l'équipement, les pièces de rechange et les provisions dans des sacs étanches emballés. Seuls les objets légers doivent être rangés dans les coffres. Des bidons d'eau supplémentaires sont arrimés au sol - ainsi que le radeau de sauvetage. "Certains préfèrent le fixer sur le pont", explique Damien. Mais en cas de chavirement, il pourrait être emporté par l'eau. On cherche en vain une table de salon - à quoi bon ? Damien veut se ravitailler à l'avance pour environ 230 jours. Là aussi, il ne laisse rien au hasard. Des mois avant la régate, des aliments lyophilisés figurent déjà à son menu, afin de trouver des produits qui lui plaisent. Il a déjà découvert la mousse au chocolat instantanée. En guise de dessert et de motivation pour les mauvais jours, des fruits en conserve sont embarqués.
Afin de garder une vue d'ensemble sur la quantité de nourriture qu'il peut manger, un sac de nourriture est préparé pour chaque jour, qui est à son tour rangé dans des caisses mensuelles. Il est probable que les provisions dureront plus longtemps que prévu. Car : "Je sais qu'il y aura des jours de tempête en bas, où l'on ne se sentira pas bien et où l'on ne pourra pas cuisiner et manger beaucoup". Pour changer de la nourriture en sachet, il embarque de la purée de pommes de terre, du riz et des pâtes. Il veut les cuire - pour économiser de l'eau - avec un tiers d'eau douce et deux tiers d'eau salée. "Ne pas avoir assez à manger serait une catastrophe. Ne pas boire assez serait une catastrophe", sait-il. C'est pourtant ce qui est arrivé à certains navigateurs lors de la dernière Golden Globe Race.
Ne pas avoir assez à manger serait une catastrophe. Ne pas avoir assez à boire serait une catastrophe !
Au moment du départ, 600 litres d'eau douce doivent se trouver à bord du "PRB" : 220 litres dans le réservoir fixe, précédé d'un petit réservoir avec filtre. Il veut ainsi s'assurer de ne pas boire d'eau contaminée par des germes. Deux grands réservoirs en plastique de 60 litres chacun sont fixés sur le plancher du salon du Rustler. Le Français veut emporter les 260 litres restants dans des bidons. Comme il compte sur trois litres par jour, cette réserve suffirait pour 200 jours. Il n'a d'ailleurs pas l'intention de voyager plus longtemps. Mais en cas d'urgence, il pourrait rafraîchir ses réserves grâce à son ingénieux système de récupération de la pluie sur la grand-voile. "En cas de pénurie, je ne cuisinerai pas de riz ni de pâtes", explique-t-il. Pour se laver, il y a une pompe pour l'eau de mer au lavabo Et comment va-t-il se laver lui-même ? Damien a un regard malicieux. "Eh bien, là où nous naviguons lentement, ce n'est pas vraiment nécessaire". Et après tout, il est seul à bord.
Pour être assis en toute sécurité pendant le repas, il peut tirer une planche derrière la descente et la poser sur une marche. Placé sur cette construction ressemblant à un siège d'enfant, le Français peut se tenir aux montants du salon à droite et à gauche. Une planche dépliable sur la cuisine fait office de mini-table. Ce n'est là encore qu'une des dizaines de modifications auxquelles Damien a pensé pour rendre la vie à bord et la compétition aussi supportables et fructueuses que possible sur les onze mètres du bateau. Pour cela, il a fallu abandonner une grande partie de ce qui faisait le confort du Rustler : comme le coqueron avant a dû être équipé d'une salle d'eau, de toilettes et d'un lavabo, la brosse à dents, le dentifrice et un petit miroir sont désormais fixés au mur au-dessus de l'évier de la cuisine. Cela doit suffire. L'aménagement du coin navigation en dit long lui aussi : une carte du golfe de Gascogne est posée sur la table de navigation, sous le fax météo, et les ustensiles d'astronavigation sont posés sur la table. Damien était en forme pour cela, après s'être entraîné heure par heure l'année dernière avec un professeur. "Mais après les mois passés sur le chantier naval, j'ai perdu beaucoup de connaissances", regrette-t-il. Il a toutefois encore le temps de rafraîchir ses connaissances.
Si l'on regarde derrière le panneau de commande, on s'aperçoit que tout n'est pas comme il y a 50 ans, pour des raisons de sécurité. C'est ici que se trouve par exemple l'émetteur AIS pour localiser les bateaux. Damien et son équipe ont également rénové le système électrique - par mesure de précaution. Ce qui manque totalement à bord, c'est une touche personnelle. Pas de photo du pionnier de la navigation en solitaire Joshua Slocum sur la cloison, pas de gribouillis de sa fille d'un an et demi ou de son fils de quatre ans. Pas même de photos. Plus tard, à son retour, il veut aller naviguer avec sa famille sur son propre catamaran. Pendant un an, il fera le tour de l'Atlantique - pas le tour du monde en neuf mois.
Certes, cette croisière peut être dangereuse, admet Damien. Mais on monte aussi dans la voiture, c'est aussi un risque. "C'est précisément ce que j'essaie de minimiser en me préparant minutieusement", explique-t-il. Le professionnel ne craint donc rien ? La solitude ? Une avarie ? Perdre le mât et la quille ? La perte d'un bateau ? Un sponsor mécontent ? Damien sourit : "Ce qui m'énerve vraiment au plus haut point, c'est ma boussole ! Cette oscillation par paliers de cinq degrés me rend fou !". Venant du monde des Imocas, il est habitué aux affichages numériques, précis à la décimale près.
Cela ne l'empêchera pas d'atteindre son objectif : "Je veux gagner", dit-il. Avec de puissants sponsors derrière lui, comme PRB pour le bateau et l'équipement ou North Sails Performance pour son huile offshore, Guillou compte bien parmi les favoris. Son sponsor a acheté le Rustler à Venise pour 75 000 euros. Au moins la même somme a été dépensée pour l'équipement et le refit, plutôt plus. Depuis 1980, le chantier naval britannique Rustler a construit 126 fois ce type de bateau. À la demande des clients, il l'est même encore aujourd'hui. Suite à la victoire de Jean-Luc Van Den Heede lors de la Golden Globe Race 2018/19 sur le "Matmut", ce type de bateau est désormais l'un des plus demandés pour la course mondiale. Fin juin, huit skippers souhaitaient participer à la course à l'automne. Cela représente plus d'un tiers de la flotte.
Mais tous n'arriveront pas sur la ligne de départ. Certains ont déjà abandonné - les obstacles sont parfois trop importants pour que le bateau soit prêt à temps. Covid, goulots d'étranglement dans les livraisons - tout cela préoccupe aussi les navigateurs sans escale. Certains manquent tout simplement d'argent dans la dernière ligne droite. Pour Damien Guillou, en revanche, tout se déroule comme prévu. Pense-t-il déjà à l'après-tour du monde à la voile ? A son prochain objectif sportif - peut-être une régate sur l'un des bolides modernes qui l'entourent ? "On verra", répond-il de manière évasive. "Pour l'instant, je suis entièrement focalisé sur le Golden Globe !" Il se sent en forme pour le test d'endurance - son bateau semble l'être aussi.
Neuf marins se sont affrontés en 1968 lors de la première course autour du monde, la Sunday Times Golden Globe Race. Un seul est arrivé à bon port et a marqué l'histoire de la voile : Sir Robin Knox-Johnston. 50 ans plus tard, en juillet 2018, 17 skippers ont pris le départ du revival de la course. Sur des quillards longs conçus avant 1988, ils ont navigué autour du monde sur la même route qu'à l'époque, avec les moyens de navigation d'autrefois. Aucun outil électronique n'était autorisé à bord, les skippers naviguaient de manière classique avec un sextant et une carte papier. La nouvelle édition de la course devrait à l'avenir se répéter tous les quatre ans. Le prochain départ sera donné le 4 septembre aux Sables-d'Olonne. Toutes les infos sur la course sont disponibles ici >>.