Route du RhumAmedeo après le sauvetage : "La mort ne voulait pas de moi aujourd'hui".

Tatjana Pokorny

 · 15.11.2022

Route du Rhum : Amedeo après le sauvetage : "La mort ne voulait pas de moi aujourd'hui".Photo : Fabrice Amedeo
Fabrice Amedeo est en sécurité à bord du cargo "Mærsk Brida
Le skipper d'Imoca Fabrice Amedeo a vécu l'enfer : après une explosion et un incendie à bord de son "Nexans - Art & Fênetres", il a été contraint d'embarquer sur le radeau de sauvetage. Quelques heures plus tard, il a été heureusement sauvé. Son yacht a coulé

La première annonce du sauvetage de Fabrice Amedeo avait été suivie d'un premier salut soulagé de l'ancien journaliste de 42 ans, aujourd'hui professionnel de la voile en mer : "Bonjour à tous. Je suis sain et sauf sur un cargo qui me déposera demain matin aux Açores. Mon Imoca 'Nexans - Art et Fenêtres' s'est enflammé sous mes yeux. Tous mes rêves ont disparu avec mon bateau". Le soir, le Français a ensuite raconté pour la première fois en détail les heures de navigation les plus difficiles de sa vie, sur le YACHT online a déjà rapporté dans un premier message.

Par Fabrice Amedeo, skipper "Nexans - Art & Fenêtres

Dimanche matin : tout va bien à bord et je fais une belle course. Le bateau vole dur dans les rafales. La mer est grosse. Soudain, je constate que mon ballast a explosé sur une vague et que j'ai plusieurs centaines de litres d'eau dans le bateau. Par mesure de sécurité, je m'arrête et commence à tout vider. À ce moment-là, les batteries sont immédiatement affectées par l'eau et tombent en panne. J'ai une panne d'électricité totale à bord. Je n'ai plus de courant du tout - plus de pilote automatique, plus d'ordinateur, plus d'électronique. En accord avec mon équipe, je décide de naviguer prudemment en direction de Cascais.

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Dimanche après-midi : forte fumée à bord du bateau. J'utilise l'extincteur, enfile ma TPS (combinaison de survie) et alerte la direction de course, qui demande à un participant de la classe Imoca de me prêter main forte en cas de besoin. La fumée finit par s'arrêter. Je décide de poursuivre ma route vers Cascais. Je rencontre James Harayda, le skipper de la"Gentoo"J'ai rencontré un homme qui était venu dans la région pour m'aider. Je le remercie et continue ma route. Je sèche complètement le bateau et me prépare à une traversée difficile. J'ai dormi deux heures la nuit dernière pour me remettre de mes émotions et je navigue six heures ce soir.

Ici encore en course sur la Route du Rhum : le "Nexans - Art & Fenêtres" de Fabrice Amedeo a coulé le 14 novembre suite à une explosion et un incendie à bord |Photo : Jean-Marie Lliot/#RDR 2022Ici encore en course sur la Route du Rhum : le "Nexans - Art & Fenêtres" de Fabrice Amedeo a coulé le 14 novembre suite à une explosion et un incendie à bord |

"Je réalise que je dois quitter le bateau"

(lundi 14 novembre) Suivent à nouveau deux heures et demie de sieste, puis sept heures à la barre. Peu après 12h30 aujourd'hui, plus de nouvelle fumée à bord. Suivie d'une explosion. Je retourne à tâtons dans la cabine et parviens à récupérer mon TPS. Mon Grab Bag (sac de survie) était resté dans le cockpit. Je retourne chercher mon alliance. J'appuie sur l'extincteur, mais il ne se passe rien. La fumée n'est pas blanche comme hier, mais jaune. Le cockpit s'embrume et jaunit. Les éclaboussures d'eau de mer font le même bruit que l'eau qui tombe sur une casserole.

Je réalise que je dois quitter le bateau. J'avertis mon équipe de la possibilité d'une évacuation. Lorsque je raccroche, je me trouve à l'arrière du bateau. Un torrent de flammes jaillit de la cabine et du toit de la cabine. Je suis pris au piège au milieu des flammes. Je ne peux même pas ouvrir les yeux. Je parviens à pousser le radeau de survie dans l'eau et à sauter.

"Si tu veux vivre, tu as quelques secondes pour trouver le couteau."

Normalement, l'extrémité qui retient le radeau de sauvetage au bateau devrait se détacher. Mais ce n'est pas le cas. Le bateau, que je pouvais encore diriger mais que la mer agitée continue de pousser vers l'avant, tire le radeau de sauvetage qui se remplit d'eau. Je parviens à monter à bord sans lâcher prise. Je crois que c'est à ce moment-là que tout s'est mis en place et que les choses ont pris une tournure positive. Je me suis dit"Si tu veux vivre, tu as quelques secondes pour trouver le couteau et le couper."

L'Imoca me tire en arrière dans sa direction. Les vagues me rapprochent dangereusement d'elle. Je trouve enfin le couteau et je coupe. Mon radeau de sauvetage dérive avec le vent en direction du bateau, qui est en feu. Il faut 30 minutes pour qu'il coule. J'ai parlé avec le bateau et l'ai remercié. Nous devions faire le tour du monde ensemble dans deux ans.

Comme un ballon de jeu perdu dans les vagues : Fabrice Amedeo dans le radeau de sauvetagePhoto : Maersk Brida/#RDR 2022Comme un ballon de jeu perdu dans les vagues : Fabrice Amedeo dans le radeau de sauvetage

"Je sais que ce n'est pas fini"

Il faut alors s'organiser. Le téléphone satellite n'a pas supporté l'eau du radeau de survie et ne fonctionne pas. Je me dis"Personne ne sait que le bateau a coulé et que tu es dans ton canot de sauvetage. Si tu actives la balise de détresse que tu as pu emporter de l'Imoca et celle qui se trouve dans le radeau de sauvetage, ils auront l'information." C'est exactement ce que je fais. Je ne trouve pas de Pütz à bord. Un Tupperware rempli de piles me sauve. Je vide le radeau de sauvetage et commence à attendre.

Je fais attention à ce que le radeau ne se renverse pas. Il y a une très, très forte houle. Je fais l'inventaire du matériel à bord et me prépare à ce qui va suivre. Je rassemble les fusées de détresse. Je mets la VHF autour de mon cou. Je passe des heures dans le radeau de survie. Je suis étonnamment calme. Le radeau se remplit régulièrement d'eau grâce aux vagues qui se brisent légèrement. Je remarque tout cela, mais je me sens en sécurité. En même temps, je sais que ce n'est pas encore fini.

"Je ne sais pas comment je vais monter à bord d'un tel géant avec une telle mer".

Pour économiser les batteries, je lance un appel Mayday sur la VHF toutes les 30 minutes. J'ai embarqué la VHF grâce à Éric, mon chef d'équipe, qui a eu le temps de me donner ce conseil juste avant que je ne raccroche. Je garde les batteries du radeau de survie pour plus tard.

Quelques minutes plus tard, une voix me répond. Un cargo situé à 6 miles nautiques de ma position arrive dans ma région. Je suis rassuré, mais je ne sais pas comment je vais pouvoir monter à bord d'un tel géant dans une mer aussi agitée. Je suis en contact permanent par VHF avec le capitaine, qui ne peut pas me voir : La mer est immense, le soleil est sur l'eau et je ne suis qu'un minuscule point orange. Il m'avait prévenu :"Tu es en vie parce que tu me l'as dit : Je suis à environ 3 km de ton côté tribord."

"Ce géant calme un peu la mer et m'aspire"

Je lance un signal de détresse. Il me voit. Il me perd. J'en tire une deuxième. Il me voit et entre dans la zone. Il tente une première approche qui échoue. C'est très impressionnant d'être dans mon canot pneumatique à quelques mètres de ce géant d'acier. Il s'excuse par VHF et se met en route.

Lorsqu'il passe, la vague de poupe se forme, le radeau de survie se remplit d'une quantité d'eau. Il se positionne au vent de moi, à quelques mètres, c'est fou, et dérive vers moi. Ce géant calme un peu la mer et m'aspire. Le radeau de survie se frotte d'avant en arrière le long de la coque. Si ça ne marche pas, ça devient très vite compliqué. L'équipage me lance des lignes que je n'arrive pas à saisir au début.

"La frontière entre survie et drame est mince"

Finalement, j'arrive à attraper une ligne que je peux retenir près de la proue du bateau. Tout est au point. La frontière entre le succès et l'échec, la survie et le drame, est mince. L'équipage me tire vers une passerelle abaissée. Les vagues me portent parfois jusqu'en haut de l'escalier. Puis je redescends de cinq mètres. C'est un dernier test. Si le radeau de sauvetage passe sous la passerelle, il est percé et je suis jeté à l'eau.

Je m'approche. Une première fois. Je n'ai pas l'impression que c'est bien. Une deuxième vague arrive et me porte vers le haut. Je saute sur la passerelle et me retrouve dans les bras d'un homme qui porte un casque. Je grimpe sur le pont. Je suis accueilli par une vingtaine de membres d'équipage. C'est fou à ce moment-là. Ils me prennent dans leurs bras et me félicitent. Avant que je"Ouf," ils m'emmènent dans une pièce. Je n'enlève pas ma combinaison de survie."Mais tu es sec"hallucinent-ils. Oui, oui, nous sommes équipés sur nos bateaux de course !

Sauvé et embarqué sur le cargo : ici, Fabrice Amedeo monte les marchesPhoto : Maersk Brida/#RDR 2022Sauvé et embarqué sur le cargo : ici, Fabrice Amedeo monte les marches

"C'est fou comme l'homme a une capacité animale à gérer une situation de survie"

Je prends une douche et enfile une tenue d'équipage. À peine ai-je embarqué sur le cargo que la peur et l'adrénaline montent en flèche. Mes jambes tremblent. C'est fou comme l'être humain a une capacité animale à maîtriser une situation de survie. Je réalise alors que la mort n'a pas voulu de moi aujourd'hui, ou plutôt que la vie n'a pas voulu que je la quitte.

Je suis dévasté, mais le plus heureux des hommes, car ce soir, ma femme et mes filles ne se coucheront pas en pleurant. Lorsque je sors de la douche, le capitaine et son second viennent à ma rencontre. Nous tombons dans les bras l'un de l'autre. Eux aussi ont les jambes qui tremblent, me disent-ils.

Cette aventure n'enlève rien à ma passion pour mon métier et pour la mer. Je remercie mon équipe, la direction de course de la Route du Rhum- Destination Guadeloupe et aux équipes de secours qui ont fait en sorte que cette opération de sauvetage se déroule dans les meilleures conditions possibles. Je pense également à mes partenaires. Je les remercie pour leur confiance. Je vais me reposer. Nous reviendrons.

Fabrice Amedeo en combinaison de survie avant le début de son odysséePhoto : Fabrice Amedeo/Nexans-Art&Fenêtres/#RDR 2022Fabrice Amedeo en combinaison de survie avant le début de son odyssée

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