Tatjana Pokorny
· 04.11.2022
Après une dernière pause avec sa famille, Charles Caudrelier s'est déjà retiré dans sa "cellule de routage". Avec ses conseillers, le double vainqueur de l'Ocean Race (2011/2012 avec "Groupama", 2017/2018 en tant que skipper de Dongfeng Race Team), âgé de 48 ans, se prépare à sa première participation à la classique transatlantique Route du Rhum. Avec "Maxi Edmond de Rothschild", Caudrelier fait figure de favori dans la classe Ultim des trimarans volants, même si ce sera sa première dans la classique de la Transat.
Charles, où situes-tu l'aventure de la Route du Rhum qui s'annonce pour toi si tu la compares aux nombreux moments forts de ta carrière, parmi lesquels figurent certainement les victoires dans la Volvo Ocean Race, mais aussi de nombreux autres succès ?
La Route du Rhum est pour moi un rêve d'enfant devenu réalité. C'est vraiment la course qui a orienté ma vie puis ma carrière vers la course au large. C'est en observant les grands héros de cette course que ma passion a grandi et s'est affirmée.
Une partie de cette passion est le trimaran Ultim "Maxi Edmond de Rothschild", avec lequel tu pars maintenant pour ta première Route du Rhum ?
Les multicoques ont toujours été très présents dans ma tête. J'ai pu naviguer un peu avec Pascal Bidégorry sur 'Banque Populaire' ou encore sur 'Gitana' en 2013. Mais les opportunités m'ont d'abord plutôt orienté vers les monocoques. J'ai d'abord navigué sur des petits bateaux, j'ai gagné la Solitaire du Figaro en 2004. Puis il y a eu les Imocas et bien sûr la Volvo Ocean Race et mes deux victoires dans cette grande course autour du monde en équipage. L'Ocean Race est plus qu'une course et j'ai fini vidé, fatigué et avec moins d'envie de naviguer, je crois.
A cette époque, le Gitana Team recrutait de nouveaux skippers. La chance de pouvoir repartir en multicoque, et qui plus est avec le 'Maxi Edmond de Rothschild' de Gitana, le premier maxi volant de sa génération, un bateau aussi innovant et révolutionnaire, était une nouvelle motivation énorme. D'autant plus que cette nouvelle histoire devait s'écrire à deux et avec Franck Cammas. Franck et moi nous connaissons depuis toujours, nous avons déjà navigué et gagné de nombreuses courses ensemble. C'est un spécialiste des multicoques et du vol. Cela a été une grande chance et un accélérateur pour mon apprentissage à bord.
Tu pars dimanche en tant que rookie et en tant que favori. C'est un mélange inhabituel. Comment ces deux positions habituellement plutôt opposées déterminent-elles ton approche de la Route du Rhum ?
Je rêve de faire du multicoque depuis que j'ai commencé à faire de la régate. Certains de mes jeunes camarades ont grandi en rêvant du Vendée Globe, mais je n'avais en tête que les multicoques et la Route du Rhum. Je participe effectivement à Saint-Malo en tant que rookie, car le Rhum sera ma première grande course en solitaire à la barre d'un multicoque.
Mais en même temps, j'ai acquis beaucoup d'expérience sur le 'Maxi Edmond de Rothschild'. Ces trois dernières années, avec Franck Cammas, nous avons eu le temps de bien faire les choses. Et nous avons presque tout gagné avec ce bateau. Les nombreux milles que j'ai accumulés pendant ces trois ans et le temps que j'ai consacré au développement et aux réglages fins m'ont permis de connaître parfaitement mon bateau. Je sais que j'arrive à la Route du Rhum avec toutes les cartes en main et que c'est maintenant à moi de jouer ma carte.
Courses en solo ou en équipe - nous supposons que tu aimes les deux. Qu'est-ce qui te plaît particulièrement dans les courses en solo et qu'est-ce qui te plaît peut-être moins ?
Cela fait très longtemps que je n'ai pas couru en solo, mais c'est mon grand amour. J'ai commencé à naviguer en solitaire et c'est vraiment ce qui m'a attiré vers la régate et la compétition. Mes possibilités de carrière m'ont davantage orienté vers l'équipe, où j'aime avoir la possibilité d'amener des bateaux au sommet de leur potentiel de performance. Mais j'ai vraiment un faible pour la voile en solitaire.
Le format et l'exigence de l'exercice, naviguer en solitaire, me stimulent beaucoup. La navigation en solitaire, d'autant plus sur nos grands trimarans volants, n'est pas seulement un défi physique, mais aussi un grand défi mental. Il faut être à 100 % dans l'action lors d'un engagement d'une telle intensité. La navigation en solitaire reste une aventure et je crois que c'est aussi ce qui me plaît particulièrement.
Comment décrirais-tu en quelques mots la Route du Rhum et sa magie aux profanes ?
La Route du Rhum est tout simplement la reine des courses transatlantiques ! En tant que navigateurs français, elle est notre héritage. Tous les grands navigateurs ont pris le départ de cette course désormais mythique. Elle a tous les ingrédients d'une grande course : un parcours exigeant et varié, avec en plus un port de départ et une île d'arrivée qui ont toujours été là et qui font partie intégrante de l'ambiance qui se dégage de la course. On le voit encore cette année avec les nombreux spectateurs sur les quais de Saint-Malo, qui ont un effet magique lors de la Route du Rhum.
Quels sont les navigateurs qui vous ont inspiré au cours de votre carrière ?
Le premier est certainement Laurent Bourgnon en tant que légende de la Route du Rhum. Je me souviens encore très bien des photos de lui lorsqu'en 1994'Fréhel' a dépassé. Je voulais devenir cet homme. J'ai eu la chance de rencontrer dans ma carrière de très grands navigateurs qui m'ont beaucoup inspiré dans mon parcours. Au début, il y avait un homme comme Marc Guillemot, avec qui j'ai fait mes premières régates en Figaro, puis Michel Desjoyeaux, qui naviguait aussi à Port-la-Forêt, et bien sûr Franck Cammas. Depuis plus de 20 ans, nos vies et nos carrières sont très liées. Nous avons fait le tour du monde ensemble et nous avons un profond respect mutuel.
Une question typique des fans avant la Route du Rhum est celle-ci : Comment un homme ou une femme peut-il/elle réussir à faire fonctionner seul(e) et en toute sécurité une machine comme ta géante ?
Un bateau comme le 'Maxi Edmond de Rothschild' est un bateau puissant et physiquement exigeant, mais la plus grande force qu'il faut avoir pour diriger une telle machine est certainement la capacité d'anticiper et d'être minutieux.
Peux-tu décrire brièvement le "Maxi Edmond de Rothschild" ?
Après quelques navigations à bord, je suis tombé amoureux de ce bateau. Pour moi, il est extraordinaire ! Le vol et les sensations qu'il procure sont incroyables. Le 'Maxi Edmond de Rothschild' est révolutionnaire, puissant, performant et très vivant.
Quelles sont les trois caractéristiques les plus remarquables de ce bateau qui représente le présent et le futur de la course au large rapide ?
Le Maxi Edmond de Rothschild est le fruit d'un travail audacieux entre un designer, Guillaume Verdier, qui est pour moi un visionnaire du yacht design, et une équipe poussée par ses propriétaires - Ariane et Benjamin de Rothschild - qui est allée au bout de ses convictions. Aujourd'hui, cela peut paraître simple, mais lorsque le Gitana Team a lancé le projet 'Maxi Edmond de Rothschild', beaucoup d'observateurs étaient très sceptiques. Je ne faisais pas encore partie de l'équipe au moment de la mise à l'eau en 2017. Il est vrai que les choix de construction étaient très innovants et soulevaient de nombreuses questions. Aujourd'hui, le 'Maxi Edmond de Rothschild' est la référence.
Quelle est l'inquiétude qu'un skipper expérimenté et performant comme toi, avec un bateau fantastique comme le tien, puisse échouer à cause d'un problème technique, d'une collision avec un OVNI ou d'un autre malheur ? Et comment réagis-tu à cette inquiétude ?
La course au large est un sport technique et la casse fait partie du jeu ! Nous faisons tout pour bien préparer nos bateaux et l'éviter. À bord aussi, je fais tout pour ménager mon bateau et naviguer en bonne intelligence avec la mer. Mais ma plus grande crainte, ce sont bien sûr les ovnis (réd. : abréviation de"Objets flottants inconnus")et les collisions. Nous essayons de nous améliorer sur ce point, par exemple avec des systèmes de caméras infrarouges en haut du mât ou avec des pingers dans la dérive, mais tout cela n'est pas encore fiable, donc le risque subsiste.
Combien de temps de sommeil vas-tu dormir en moyenne par 24 heures pendant la Route du Rhum ?
À bord de nos bateaux, nous nous adaptons toujours à la météo. Notre temps de sommeil dépend principalement des conditions météorologiques que nous rencontrons. J'essaie d'accumuler au moins quatre heures de sommeil par 24 heures, par tranches de 15 à 20 minutes. Selon moi, la gestion du sommeil est l'une des clés du succès. J'ai beaucoup travaillé sur ce point pendant la préparation.
Quel temps de navigation envisagez-vous, sachant que le record de Francis Joyon avec "Idec Sport" est de 7 jours, 14 heures, 21 minutes et 47 secondes ?
Nous visons entre 7 et 9 jours, selon les conditions météorologiques. Pour l'instant, les conditions météorologiques ne semblent pas favorables pour battre le temps de Francis Joyon. Mais cela peut encore changer.
Le bateau est principalement piloté par le pilote automatique ? Combien de fois pilotes-tu encore toi-même, quelles sont les tâches principales pendant la course ?
En course, le pilote automatique pilote effectivement 90 % du temps. Mais à bord, il y a beaucoup à faire : Je dois régler les voiles, les foils et bien d'autres choses encore, échanger avec mes routeurs sur la météo et la stratégie. Je dois me reposer dès que les conditions le permettent, me nourrir et communiquer avec le monde pour que le plus grand nombre de personnes puisse suivre ma course.