Speed Project SP 80Un trimaran et un kite pour battre le record de vitesse

Andreas Fritsch

 · 19.02.2025

En haut, le kite, en bas, le tri qui fonce sur l'eau lors d'un des essais. La barre des 80 nœuds est encore loin.
Photo : Guillaume Fischer/SP80
L'équipe suisse SP 80 veut battre le record de vitesse vieux de douze ans du "Sailrocket II" de Paul Larsen - avec un trimaran propulsé par une aile. Est-ce possible ? YACHT a assisté à des essais au large de Leucate.

Mais pourquoi diable ont-ils un mât de neuf mètres de haut sur leur rib ? C'est la première question que je me pose en visitant la base de l'équipe du SP-80 à Leucate, en France. Deux fois 300 chevaux à l'arrière et ce mât en fibre de carbone au milieu du bateau pneumatique ? La solution de l'énigme révèle en même temps la particularité de l'équipe suisse : c'est sur ce mât que l'aile géante est installée en mer, sur le parcours du record. En effet, le trimaran de l'équipe n'est pas propulsé par un gréement classique et des voiles traditionnelles, mais par cet engin de sport qu'utilisent surtout - nomen est omen - les kiteboarders.

Mayeul van den Brock, chef d'équipe et barreur du SP 80, sourit lorsqu'il remarque mon regard. "Benoît et moi conduisons certes le bateau, mais au final, nous avons besoin de huit personnes sur l'eau pour pouvoir décoller". Il explique que la taille du kite varie en fonction de la force du vent. Elle peut mesurer entre 12 et 40 mètres carrés. L'équipe le grée, le fixe au mât, le fait monter et le transmet finalement au tri. Le copilote de ce dernier, Benoit Gaudiot, amène lentement l'aile "dans la zone" à l'aide de quatre câbles de commande qu'il contrôle via une roue et un levier. C'est la zone dans laquelle le profil du cerf-volant génère une propulsion optimale.

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Et c'est parti ! Jusqu'à présent, après plusieurs tests, ils ont atteint une vitesse d'un peu plus de 43 nœuds. Lors des prochaines manches, ils veulent franchir la barre des 50 nœuds. L'objectif est d'atteindre 80 nœuds, d'où le nom de l'équipe. "Paul Larsen détient toujours le record de vitesse à la voile avec 65,45 nœuds. Nous devons donc viser la marque des 80", explique Mayeul. Il raconte qu'ils sont en contact étroit avec le détenteur du record et qu'ils se sont déjà rencontrés à plusieurs reprises. Larsen leur aurait souhaité bonne chance et aurait offert à l'équipe une photo dédicacée de sa première course au record.

Mayeul : "C'est une véritable source d'inspiration et il voit notre projet de manière sportive. Si nous battons son record, il veut essayer de le récupérer". Le record est établi depuis 2012. Larsen y a travaillé pendant onze ans. Combien de temps les Suisses pensent-ils avoir besoin ?

Mayeul sourit. "Lorsque nous avons commencé ce projet en tant qu'étudiant de l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne, nous pensions y arriver en trois ou quatre ans". Nous étions alors des étudiants. Aujourd'hui, nous sommes en septième année, et presque tous les membres de l'équipe sont depuis longtemps ingénieurs".

Pourquoi un kite et pas une voile ?

Les projets records nécessitent du souffle. Et de l'argent. De ce point de vue, les Suisses ont eu de la chance. Leur sponsor principal, Richard Mille, un fabricant de montres, est avec eux depuis la première heure et leur est fidèle. Actuellement, 40 autres soutiens permettent à l'équipe de onze personnes de se maintenir financièrement à flot.

Et puis, une deuxième question me vient immédiatement à l'esprit : pourquoi un kite ? Que peut-elle faire qu'une voile fixe fixée au mât ne peut pas faire ? "Le grand avantage, c'est que nous pouvons nous adapter en continu aux conditions de vent grâce aux différentes tailles de kite. Et si les forces exercées sur le bateau sont trop importantes, nous pouvons séparer le kite du bateau en une fraction de seconde en appuyant sur un bouton et en utilisant une minuscule charge explosive. Nous évitons ainsi les dommages et les accidents", explique Mayeul.

Ce n'est certainement pas une idée stupide, si l'on considère que le détenteur du record Paul Larsen avait déjà décollé avec son premier "Sailrocket" et effectué un tonneau complet en l'air. Ce n'est que par chance qu'il s'en était sorti indemne. Lorsque les trois fondateurs de l'équipe, Benoit, Mayeul et Xavier Lepercq, se sont demandés au début lequel des trois devrait renoncer à sa place dans le cockpit, leur choix s'est rapidement porté sur Xavier - il était le seul à avoir déjà une famille.

La SP 80 est plus un jet qu'un tri

Voilà pour la théorie. Maintenant, direction le hangar où, derrière une porte roulante, le trimaran est préparé sur sa remorque pour un nouveau test de navigation. La vue est déjà surprenante : le bateau ressemble plus à un jet qu'à un trimaran classique. Le cockpit, avec un poste de pilotage à deux places, est encastré dans une large coque centrale en forme de goutte d'eau. Sa carène rappelle le ventre d'un hydravion.

Les beams courts en forme d'aile se transforment en deux fuselages minuscules. Elles ressemblent davantage à des réacteurs suspendus ou à des corps flottants. Au sommet du bateau trône une longue perche noire pivotante. C'est à elle que l'aile est fixée.

Le copilote et contrôleur de kite Benoit Gaudiot me rejoint. Il me montre d'abord son poste de travail, le cockpit arrière. Le volant d'un tracteur de tondeuse à gazon y est effectivement monté, comme l'indique le logo. Benoit sourit : "C'était parfait et c'est très stable ! Il me permet de déplacer l'aile à gauche et à droite. Un levier à côté permet de régler l'angle d'attaque et la hauteur de vol". Tout est hydraulique. Dans des vidéos embarquées sur Youtube, on voit comment Benoit tourne rapidement et beaucoup le volant pendant la navigation. Il y a 14 rotations de la butée gauche à la butée droite.

Un gros bouton rouge à droite est le déclencheur d'urgence de l'aile. Au milieu se trouve un grand écran. "Je peux y voir où et comment le kite est en l'air".

Peu après, Mayeul se glisse dans l'étroit cockpit de pilotage à l'avant. Sa tâche consiste à maintenir le bateau dans une position optimale par rapport à l'angle d'incidence du vent, entre 100 et 140 degrés, et à le maintenir près de la terre pour que le tri soit le moins possible freiné par les vagues. Les données du bateau convergent sur l'écran devant lui : Indicateurs de charge pour le foil, le safran et le bras du kite, angle d'inclinaison, accélération et bien plus encore. Si les forces sont trop importantes, il peut lui aussi faire sauter le kite.

Le foil hyperventilant est un terrain inconnu

À partir de 25 nœuds de vitesse, les coques ne font qu'écumer la surface de l'eau. Le foil central maintient le bateau à flot, aidé par le minuscule safran que le pilote actionne à l'avant. Le safran et le foil sont top secrets, recouverts de housses, personne en dehors de l'équipe ne doit les voir. Ce n'est que dans l'eau qu'un plongeur retire les enveloppes. Rien d'étonnant à cela, puisque c'est dans ces pièces que se cache le véritable savoir-faire en matière de records.

"Nous naviguons avec ce que l'on appelle un foil hyperventilé", explique Benoit. La cavitation, qui commence à un peu plus de 50 nœuds sur un foil classique, crée tellement de tourbillons et de dépressions que le profil finit par être détruit. C'est ce que l'on évite avec un foil qui a une forme presque triangulaire en coupe longitudinale. Il aspire l'air de la surface, ce que l'on appelle la ventilation, qui dépose de manière ciblée une fine couche d'air sur la face en dépression du profil. Ainsi, il n'y a pas de cavitation. Le profil du SP-80-Tris est censé être optimisé pour 80 nœuds, celui de Larsen était conçu pour environ 60 nœuds.

Le foil est directement relié au bras sur lequel est fixé le kite. Si le kite produit trop de traction vers le haut, le foil se met automatiquement en position dans l'eau de manière à tirer le bateau vers le bas. Cela permet d'éviter que l'ensemble du projectile ne soit soulevé dans les airs. Du point de vue de la construction de bateaux, tout cela est nouveau, tout comme la coque. C'est pourquoi le développement a pris beaucoup de temps, raconte Mayeul.

Il a également fallu essuyer quelques revers. "Début 2024, alors que nous étions censés faire les premières courses rapides, nous avons découvert une minuscule fissure sur le bateau. Il s'est avéré qu'elle avait des répercussions sur toute la structure environnante". La SP 80 a dû être démontée et une pièce portante est retournée au chantier naval en Italie. La réparation coûteuse s'est étalée sur six mois. De plus, il s'est avéré que la pointe de l'étrave générait 90 kilos de poussée avant le planing. Le bateau s'est littéralement retrouvé coincé. "Nous avons donc augmenté la surface immergée".

Cockpits conformes aux normes de sécurité de la Formule 1

En juin, de nouveaux tests ont commencé. Avec succès. En une poignée de manches seulement, on est passé par grands bonds de 13 à un peu plus de 43 nœuds de vitesse. "C'était notre preuve de concept !", dit Benoit. Cependant, ils ont dû larguer l'aile en dernier par séparation d'urgence. "Le foil a été conçu pour des vitesses comprises entre 40 et 50 nœuds. Il a reçu trop de charge, la pointe s'est courbée de plus de 30 centimètres sous le vent", raconte Mayeul. En raison des coûts élevés de construction des foils, ils avaient préféré en construire plusieurs moins chers afin de pouvoir faire un choix. Celle-ci a finalement été prise en décembre et le foil définitif pour le record a été construit et monté. L'impatience est maintenant grande de voir comment le bateau se comportera avec.

Il est donc temps de faire un vrai speedrun ! Dehors, le vent secoue le hangar à 30 nœuds, des conditions parfaites pour un test avec l'aile de 25 mètres carrés. Le bateau roule hors du hangar jusqu'à la rampe de slip, il est mis à l'eau. Ensuite, c'est un peu comme dans "Top Gun" : Les deux hottes en verre spécial sont fermées au-dessus de la tête des pilotes par un membre de l'équipage depuis l'extérieur. Les pilotes sont assis les uns derrière les autres dans leurs cockpits étroits comme des sardines. Construits selon les normes de sécurité de la Formule 1, ils supportent des forces allant jusqu'à 50 G en cas de choc. Les navigateurs, ou plutôt les pilotes, portent des casques, des pare-soleil sombres par-dessus. Pouce levé, la liaison radiotéléphonique est vérifiée. Sauf qu'à présent, ce ne sont pas des réacteurs qui vrombissent, mais les hors-bord de 300 chevaux du Team-Rib.

C'est l'heure du spectacle. Le Rib pousse prudemment le trimaran sur la mer au large de Leucate, dans le sud de la France. Sous un ciel bleu, il y a des rafales et un froid glacial en ce début décembre. Un temps à 50 nœuds, espère l'équipe. A peine sorti de l'entrée du port, le pilote du Rib, la SP 80 en remorque, pose la manette sur la table : départ à 20 nœuds, une dizaine de milles sous la terre, le long de la côte, vers la section idéale pour la tentative de record. Au-dessus d'une langue de terre plate qui atténue les vagues, le vent souffle violemment. Par radio, les Suisses contactent les garde-côtes en leur signalant la tentative de record et le nombre de personnes à bord. On ne sait jamais.

On se doute de ce qu'il est possible de faire avec la SP 80

Arrivé au lieu de départ, une ancre est jetée et le bateau est amarré à une corde de muring à 90 degrés du vent. Commence alors une lutte avec l'aile. Dans les rafales de vent, le grand profil est déployé à l'envers pour éviter qu'il ne s'élève tout de suite. D'innombrables lignes fines sont triées, la voile est placée sur le mât du Rib.

En même temps, le plongeur de secours formé passe sur le SP 80 et y installe les lignes de commande de l'aile sur le bras de la flèche. Il y a toujours des retards. Pendant ce temps, tous sont reliés entre eux par des casques. On discute en permanence de la situation, du vent, des problèmes.

Après une heure et demie, l'équipe de Rib libère le kite qui se balance maintenant au mât en fibre de carbone. Le régleur Benoit la fait d'abord monter et voler avec peu de pression. Puis Mayeul détache le bateau de la muraille en appuyant sur un bouton. La SP 80 d'une tonne se met lourdement en mouvement. Bien qu'il ne soit qu'à 500 ou 600 mètres de la terre, la vague de 10 à 20 centimètres lui donne du fil à retordre. Et c'est justement à ce moment-là que les rafales de vent se calment. Des ribs naviguent en parallèle comme bateaux de sécurité, le plongeur de sauvetage est prêt à partir. Les deux pilotes ont certes suivi un entraînement de sécurité dans une maquette du cockpit dans la piscine au-dessus de leur tête pour se libérer, mais une fois de plus, la règle est la suivante : la sécurité est la sécurité. Des masques respiratoires avec des bouteilles d'oxygène sont même prêts dans le cockpit en cas d'urgence.

Le bateau avance à 15, voire 20 nœuds. Ensuite, le cap est corrigé en fonction de l'angle d'incidence idéal du vent. Benoît dirige maintenant l'aile plus bas sur l'eau et ajuste son profil différemment. Le bateau accélère immédiatement, mais on remarque qu'il "colle" encore à l'eau pendant la phase de planing. C'est alors qu'une puissante rafale survient. En un éclair, la SP 80 s'élance. Le pilote du Rib doit accélérer fortement pour rester dans le coup. Le bateau record vole maintenant de manière stable au-dessus des vagues. On devine ce qui est possible.

Mais ensuite, le vent faiblit et la coque s'affaisse. Cela dure quelques minutes, puis c'est la fin de la course au record, qui ne fait que quelques miles. Benoît laisse l'aile retomber à la surface de l'eau, la course est terminée. Le bateau n'a pas assez de puissance, il leur faut un kite plus grand. Il faut donc récupérer le cerf-volant, remorquer le tri jusqu'au mouillage, gréer le plus grand kite - tout est à recommencer. Pour les équipages de ribs, c'est un processus qui se déroule dans un spray glacial.

Les chasseurs de records doivent être patients

La deuxième manche prévue tombe malheureusement à l'eau, car les lignes du kite s'emmêlent et l'équipage ne peut pas les démêler sur l'eau. Le risque qu'elles endommagent l'aile sous la charge est trop grand. Les chasseurs de records doivent être patients. Un peu frustrée, la troupe rentre au port après une longue journée sur l'eau.

Débriefing, puis tout le monde veut vite rejoindre la chaleur du centre de l'équipe dans l'arrière-pays. C'est là que commence le démêlage des lignes. Tanguy Desjardins, spécialiste du kite, corrige les "bridle-lines" qui permettent de contrôler l'angle d'attaque du profil. Elles n'étaient pas encore idéales.

Mayeul passe encore une fois. Au mur, il y a la photo du record de Larsen avec son autographe. Je veux savoir quand il pense qu'il va battre le record de ce dernier. "Bientôt, nous ferons les premières vraies courses de record, pour l'instant ce n'étaient que des tests. Je pense que nous pouvons y arriver d'ici le milieu de l'année ; le bateau en est capable", dit-il avec assurance.

Et puis, en passant, il raconte qu'un autre chasseur de records a déjà frappé à leur porte : Glenn Ashby de l'équipe New Zealand. En 2023, il avait battu le record de vitesse sur terre avec un engin à voile. L'Australien rêve maintenant d'un doublé : le record sur terre et sur l'eau. "Ce serait déjà bien s'il devait dépasser les 80 nœuds", dit Mayeul, "parce que nous avons présenté !"

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