Christian Irrgang
· 15.07.2024
Avant même que la course ne commence vraiment, elle est déjà terminée pour les premiers. Trois bateaux s'affrontent sur la ligne de départ, à tel point qu'un carambolage se produit. Les trois sont éliminés avant même que le canon ne soit tiré.
La scène ne se déroule pas lors d'un championnat, mais au début de la MidsummerSail 2024. Cette course au long cours est certes décrite par ses organisateurs comme la plus longue et la plus difficile des régates en mer Baltique, mais elle ne fait pas référence à la lutte contre les adversaires. En effet, la course au large va du point le plus au sud au point le plus au nord de la mer intérieure - sur une distance d'environ 900 miles nautiques.
"Totalement superflu", c'est ainsi que Robert Nowatzki qualifiera l'ambition lourde de conséquences au départ après la régate. "On ne peut pas gagner une telle course au départ. Perdre, si".
Robert est le chef ici. C'est déjà la neuvième fois qu'il organise la MidsummerSail. De Wismar jusqu'à la barge jaune de Töre. Il n'est pas possible de naviguer plus longtemps sur la mer Baltique.
En 2016, Robert et un ami ont parcouru la distance avec un petit Hallberg-Rassy 24 non-stop. Il leur a fallu onze jours et ils se sont tellement amusés qu'ils ont décidé de développer l'affaire et de lancer une régate dès l'année suivante. Ils ont donc bricolé un site web, un magazine de voile en ligne a publié un article, mais personne ne s'est manifesté. Noël est arrivé, ils étaient prêts à faire une croix sur tout cela, quand l'ASV Rostock a soudain voulu en savoir plus et a inscrit son "Universitas".
Au total, cinq bateaux sont partis, trois sont arrivés. C'est comme ça que ça a commencé. Et aujourd'hui, Robert doit limiter le nombre de participants à 100 bateaux, après quoi on est placé sur la liste d'attente. Comme certains ont encore annulé à la dernière minute, il y a cette fois 80 bateaux au départ. Seuls 52 finiront par franchir la ligne d'arrivée. Mais nous en reparlerons plus tard.
Une file d'attente devant les douches jusqu'à la porte d'entrée. Dernière eau chaude pour les six prochains jours, au moins. Et les conversations de ce matin-là ne tournent qu'autour d'une chose : comment sera le vent ?
Est-ce que ce sera vraiment si grave ? Après tout ce que nous avons entendu hier soir, certains tentent de faire de l'humour noir. "Pourvu qu'on arrive à passer la ligne de départ !" Et un plaisantin pense tout haut à prendre tout simplement le départ quatre heures plus tôt. Seule la pénalité de temps peut l'en empêcher.
Un météorologue de Kiel nous avait en effet passablement démotivés dans son briefing météo. Calme plat, et s'il y avait du vent, ce serait tout au plus des thermiques juste en dessous de la côte. La faute à un puissant anticyclone au-dessus des pays baltes, qui envoie de l'air chaud de la Méditerranée vers la Scandinavie. Selon ses prévisions, il faudrait s'attendre à 28 degrés en Suède.
Les gens se tapent sur l'épaule : bonnes vacances d'été. De plus, Robert sait que l'année dernière aussi, la plupart des participants avaient abandonné en raison du manque de vent persistant. La plus longue régate de la Baltique, donc, mais aussi la plus dure ? Nous verrons bien.
Encore un cappuccino chez "Windstärke 10" (c'est le nom du café ici dans le port de plaisance Weiße Wiek), puis nous partons avec le groupe de participants. Nous naviguons sur le "Lisa", un pilote-cutter Dykstra de 59 pieds, et donc le plus grand bateau de la course. Geert est le propriétaire, et à bord se trouvent, en plus de nous deux, Catarina, la femme de Geert, et Florian, un ami des deux.
Les huit milles nautiques qui séparent cet endroit de la ligne de départ située entre les têtes suédoises au large de Wismar sont parcourus par tous à la machine, puis la flottille se rassemble au sud de la ligne afin de ne pas gêner les premiers partants. Un coup de canon retentissant tiré depuis le bord de la cogue "Wissemara" lance le premier groupe sur la route à 13 heures.
Lentement, très lentement, les bateaux s'éloignent vers le nord. Un quart d'heure plus tard, c'est au tour du groupe suivant, puis c'est à nous. Pas de stress, se tenir à l'écart de tout autant que possible, telle est la devise à bord.
Il reste sept minutes. Nous croisons à un ou deux nœuds maximum dans le chenal étroit. C'est alors que ça se passe. Catarina, les yeux rivés sur le sondeur, s'agite soudain. "Vire tout de suite, ça devient plat ici", crie-t-elle. Trop tard, nous sommes déjà assis. On entend littéralement la quille s'enfoncer dans la vase. Tout effort est vain, ce n'est qu'avec l'aide d'autrui que nous parvenons à nous libérer. Ça commence bien.
Entre-temps, le dernier groupe, celui des multicoques, est également parti. Avec 38 minutes de retard, nous sommes le 80e et tout dernier bateau à franchir la ligne. Mais qu'importe, avec 900 milles à parcourir. Nous allons donc pousser tout le peloton devant nous. Au bout d'une heure, nous dépassons déjà le premier. A 16 heures, le vent souffle à huit nœuds du nord-nord-est et le "Lisa" pousse ses 30 tonnes à six nœuds. Et à 18h30, après que le vent a tourné à l'est et est passé à la force quatre, le tracker nous voit déjà à la 54e place.
Changement de quart à zéro heure. 45 milles sont inscrits sur le loch. Le vent est faible de l'est, jusqu'à présent les prévisions sont correctes. Les lumières de Rostock sont claires à tribord, le ferry de Trelleborg croise devant notre proue. Au large de Darßer Ort, quelques skippers continuent à naviguer vers le nord. Ils ont peut-être encore dans l'oreille le discours de l'expert météo qui recommandait précisément cette direction.
Mais un groupe plus important vire de bord et après une courte réflexion, nous faisons confiance à l'intelligence de l'essaim et passons également par-dessus l'étai. Seulement deux nœuds et demi de vitesse sur le fond. Commentaire du skipper : "L'envie de croiser par un ou deux nœuds de vent, on ne l'a pas d'habitude. On met le moteur en marche, et c'est parti". Mais maintenant, c'est la régate.
À 9 heures, le ciel est gris au-dessus de nos têtes. Ce n'est qu'au loin que le plafond est troué. Les falaises de craie de Møn brillent d'un blanc immaculé dans le soleil matinal. Devant, comme tirés au cordeau, les cargos dans le chenal de Kadetr. À midi, le reste du ciel se déchire et à 14 heures, après 24 heures, nous avons déjà 115 milles dans le sillage.
Un message radio : "Kairos" pour "MimiElectra" - vous vous êtes assis juste devant nous, nous pouvons même sentir vos pommes de terre rôties". Réponse : "Ce ne sont pas des pommes de terre sautées, chez nous, aujourd'hui, c'est coq au vin".
Le soir, tout change. Le vent souffle déjà à 4 Beaufort, mais cela ne va pas s'arrêter là. Différents modèles de prévision sont comparés et tous sont d'accord. Nous devons nous attendre à des rafales de 30 nœuds. Nous citons non sans dérision la présentation de la météo - peu importe.
Nous rangeons le gennaker qui, en prévision de l'arrivée de la brise, était déjà prêt à être utilisé comme une longue saucisse sur le pont. À la place, nous mettons le deuxième ris dans la grand-voile pour la nuit.
À bâbord, sur les plages suédoises, on fête maintenant le milieu de l'été, mais nous n'en voyons rien. La distance est trop grande.
Trois heures du matin, entre-temps le vent souffle à cinq ou six, et les rafales arrivent aussi. Bien sûr, elles viennent directement de l'avant et s'accompagnent de fortes averses.
La baie de Hanö se transforme en piste de bosses. Juste devant notre proue, le "Windspiel" croise notre route. Ils n'ont pas l'air particulièrement heureux non plus. En deuxième ris et avec le foc du cotre, la "Lisa" se fraie un chemin à travers les vagues courtes et abruptes. Une concentration totale est requise au niveau de la grande roue pour qu'elle ne s'enlise pas avec ses 30 tonnes, mais c'est amusant.
Mais les mouvements du bateau sont si violents que certains membres de l'équipage ont le visage vert. Il faut bien nourrir les poissons de temps en temps. Vers 14 heures, à la hauteur d'Utklippan, les choses se calment suffisamment pour que nous puissions prendre la mer et dérouler le génois. "Nord-ouest 3, pluie abondante", indique le journal de bord.
D'autres ont probablement connu une situation bien pire. Dans le live tracker, nous voyons que de nombreux bateaux ont cherché refuge dans des ports de Bornholm, Trelleborg, Ystad ou Skillinge. Et comment les petits bateaux ont ensuite repris leur route après une pause. Les règles le permettent.
Mais nous voyons aussi que de plus en plus d'entre eux deviennent soudainement gris sur l'écran, ce qui signifie qu'ils ont abandonné la course. Un vent trop faible n'en sera pas la cause.
Une obscurité totale à minuit. Les rafales atteignent désormais 35 nœuds, ça hurle et ça siffle dans les haubans. Dire que les vagues sont méchantes serait un euphémisme. De nouveau avec deux ris dans la grand-voile, nous nous frayons un chemin à l'est d'Öland à travers les eaux sauvages.
A cinq heures, l'"Orinoco" apparaît à tribord. A travers le voile de pluie, nous l'apercevons escaladant les montagnes de vagues dans une chevauchée sauvage, avant de retomber à chaque fois très bas dans la vallée.
Même avec notre bateau à haut bord, il arrive que la proue déverse deux fois de l'eau verte sur le pont, qui trouve bêtement un chemin mystérieux à travers le skylight, transformant le salon en cabine de douche. De toute façon, nos vêtements sont désormais complètement mouillés et détrempés. C'est particulièrement désagréable lorsque nous devons enfiler à nouveau nos vêtements humides et froids lors du changement de quart.
Les deux bateaux de tête, le "Luft" et le "Cheekytattoo", sont déjà à hauteur de Stockholm à cette heure-ci. C'est impressionnant ! Mais nous ne sommes pas les seuls à devoir batailler ferme. L'"Addictif", un Pogo 30 avec son skipper Thomas Schrepffer, navigue tout près derrière nous. Il est seul à bord de son bolide, l'un des quatre solitaires de la course.
Il a participé deux fois au Silverrudder et c'est la première fois qu'il participe à une telle course de fond sur plusieurs jours. Avant, il pensait que le plus grand défi serait la gestion du sommeil. Puis la tempête est arrivée.
En ce moment, Thomas a sérieusement peur pour son bateau et pense déjà à abandonner quand il se souvient de son ami Lennart Burke, participant à la Mini-Transat 2021, et de ce qu'il lui a dit avant la course : "Avant de penser à abandonner, appelle-moi d'abord" !
Lennart est actuellement aux États-Unis, l'après-midi est ensoleillé lorsqu'il répond au téléphone. Quelques conseils de réglage, quelques mots d'encouragement suffisent pour que Thomas reprenne la mer. A peu près au même moment, Hajo Hensel, lui aussi seul à bord, vient de régler les voiles de son Dehler 30 "Tutto Bene" et se prépare un café sous le pont.
L'après-midi, le vent tombe. Nous passons Visby relativement près de la côte de Gotland. La ville se cache derrière un écran de fumée. En revanche, nous avons le "Kairos" en vue, un Swan 57 et donc un rival naturel pour nous.
Nous contrôlons de toute façon en permanence le cap et la vitesse des autres sur l'AIS et le tracker, mais maintenant, en comparaison directe, c'est encore plus amusant de tirer sur toutes les lignes et les écoutes pour gagner peut-être encore un tout petit peu de vitesse.
La lumière du milieu de l'été, enfin. Le rouge du soir ne disparaît pas du tout, mais continue à se déplacer vers le nord devant notre proue, jusqu'à ce qu'il se transforme en rouge du matin, d'où émerge le soleil, radieux et lumineux.
Peu après 15 heures, c'est le moment. L'appétit est également revenu, aujourd'hui nous prenons le petit déjeuner ensemble, et dans la matinée nous allons chercher nos vêtements mouillés pour les faire sécher sur le pont. Commence alors un jeu que nous avons appelé le loto du vent. Tout le monde est à la recherche du meilleur vent.
Sur l'AIS, nous observons autour de nous d'intéressantes manœuvres de virement de bord, et lorsqu'un gennaker bleu apparaît à l'arrière, nous sommes également en pleine effervescence. La mer est lisse comme du papier à musique. Jusqu'à ce que, vers 13 heures, un vent de nord-est surgisse de nulle part.
Un ciel bleu, des nuages de source au-dessus de la terre, la grand-voile prise, ça peut bien continuer comme ça. 500 milles après 96 heures, toujours avec le vent de face. Mais entre-temps, nous sommes passés à la onzième place. Malheureusement, à 21 heures, le plaisir est terminé, aussi vite qu'il a commencé. Le calme plat, comment est-ce possible ?
Jusqu'au lever du soleil, nous nous laissons dériver et faisons un joli tour sur le traceur. Nous avons hissé toutes les voiles pour éviter les battements gênants et pouvons nous consacrer pleinement à la beauté de la pleine lune qui monte rapidement à l'horizon.
À une heure et demie, la brise salvatrice se lève enfin. Et même dans la bonne direction ! Sous un ciel d'été sans nuages, nous mettons le grand gennaker.
Autour de nous et avec leurs voiles d'avant colorées, en partie bien visibles aux jumelles : "Juniper" et "Grand Cru", "First Out", "Tutto Bene" et "Addictif" ainsi que "Tridefix", le dernier des cinq multicoques au départ et le seul à franchir la ligne d'arrivée plus tard.
Nous laissons les îles Åland derrière nous à une vitesse de huit nœuds. Puis soudain, nous observons quelque chose d'étrange devant nous. "Susi Seepferdchen" change radicalement de cap et se dirige tout droit vers la côte suédoise. Jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans le port de Gävle et devienne grise peu après sur le tracker. Éliminée de la course. Nous nous demandons ce qui a bien pu se passer.
Encore un minuit rouge sang avec une lune orange. À 2h36, le premier bateau, l'"Air", atteint sa destination. D'ici là, il nous reste encore 270 miles à parcourir. Une belle brise de sud-est nous pousse tranquillement, mais commence à faiblir. La toile de gennaker crépite comme du papier sulfurisé lorsque le guindant s'affaisse légèrement de temps en temps.
Quelques bateaux passent du côté suédois, mais le gros du peloton semble croire au même modèle de prévision et cherche le vent en Finlande. Aucun des modèles ne savait cependant que le vent allait soudainement passer au nord-est et se renforcer fortement. C'est pourtant ce qui se passe. On enlève la bulle, on sort le génois, et c'est parti.
Ensuite, nous voyons le "Kairos" virer de bord et entrer dans le port de Sundsvall. Mais il sort du port peu de temps après et continue à naviguer jusqu'à l'arrivée. À bord, quelqu'un s'est blessé à la main et a dû être soigné.
Maintenant, il fait si clair toute la nuit qu'on peut sans problème s'asseoir dans le rouf et écrire sans lampe. Le vent est moins fiable et change constamment de force et de direction.
L'entrée dans l'archipel au large de Töre annonce 23 degrés. Si seulement cela pouvait continuer ainsi. Malheureusement, cela ne dure que quelques minutes, puis le vent tourne au nord-nord-est. Ce n'est pas possible.
Le "Gjoa", un Pogo 30, croise notre route et navigue ensuite par le travers à tribord, juste sous la grande lune. Le fait que nous puissions la suivre avec notre dame de 30 tonnes est assez étonnant.
Transfert à zéro heure. Geert et Catarina descendent sur le pont. Au moment du changement de quart, nous demandons à Catarina ce à quoi nous devons faire attention. "Vitesse, vitesse, vitesse !", nous répond-on. Ce à quoi Geert fait sèchement remarquer : "Je ne reconnais plus ma femme".
Depuis hier, la fièvre des régates s'est emparée de Catarina. Elle était restée des heures devant le traceur, vérifiant constamment le cap et la vitesse, et à un moment donné, elle a dit : "Faites quelque chose". Florian a alors poussé l'écoute du gennaker, qui avait été déroulé l'après-midi, de quelques centimètres seulement, ce qui a eu pour conséquence d'augmenter notre vitesse d'un bon nœud.
L'archipel n'est plus qu'à 21 milles devant nous, le vent de sud-est souffle constamment à dix nœuds, la jauge est clouée à sept nœuds. Avec deux pogos et le "Chimai", un Luffe 40 sous un spi géant, nous parvenons à tenir longtemps le rythme, et même à les distancer par moments.
Mais quand le vent tombe, nous devons les laisser partir. Pleins d'entrain, nous passons même au gennaker plus grand. Inutile, mais amusant, comme le pense Geert. Un nœud et demi de vent, c'est trop peu pour le lourd bateau.
À 7h20, nous passons les premiers îlots. Quatre miles avant l'arrivée, l'une de ces petites îles s'éloigne de notre champ de vision et laisse apparaître les silos du port de Töre. Peu après, on aperçoit également la tonne jaune. À 11h11, après sept jours et 21 heures de navigation, avec 946 miles nautiques dans le sillage, nous franchissons la ligne d'arrivée. Cela suffit pour la dixième place.
Les paquets grandissent dans le port, les gens du coin se promènent sur la rive et plus il y a de monde, plus le passage de la ligne d'arrivée est génial pour ceux qui arrivent. Tout le monde applaudit, on klaxonne et on siffle à tout va. "Moment de chair de poule", dit l'un d'entre eux lorsqu'il retrouve la terre ferme.
Avant de trouver leur place, tous les bateaux s'amarrent d'abord à la fameuse bouée. Les équipages grimpent dessus et chacun reçoit sa photo souvenir.
Sur les 100 bateaux inscrits, 52 ont franchi la ligne d'arrivée. Quatre navigateurs ont accompli le parcours en solitaire, dont Marlene Brudek, lauréate du prix du plus petit bateau, un First 27. Deux équipages de charters étaient présents, ainsi que plusieurs équipes de clubs. Le tout dernier bateau à franchir la ligne d'arrivée était "Helene", après 11 jours et 6 heures de course.
Le bilan de Jens Weidling de la Segelkameradschaft Buchholz, skipper du "Heide Witzka", est le suivant : "Pour nous, c'était une énorme fête" ! Et c'est sans doute ce que la plupart des gens ont pensé.