Par Alan Roura, neuf jours avant Noël. Le Suisse est 16e parmi les 22 skippers encore en lice, s'attend à une forte tempête et écrit une lettre d'amour poétique depuis l'océan Austral, qui est aussi une déclaration d'amour à son amie adorée restée au pays et au Vendée Globe :
Nous sommes le 13 décembre. Pour vous, c'est une date comme une autre. Mais pas pour moi. Je vais laisser parler mon cœur aujourd'hui et peut-être un peu moins parler de la houle et de la tempête qui font rage autour de nous en ce moment.
A la même date, il y a trois ans, je venais d'arriver à Pointe-à-Pitre, après avoir franchi la ligne d'arrivée de la Mini-Transat 2013. Pour moi, c'est là qu'une histoire d'amour a commencé. Je sais que beaucoup de gens lisent mes mots depuis le bord et suivent mon parcours avec beaucoup d'intérêt. Sur l'eau, nous sommes seuls, loin du monde, nous avons le temps de nous poser les bonnes questions. Sur nos aspirations, sur notre vie et sur la manière de mener le bateau. Et en plus, sur les personnes avec qui nous voulons partager tout cela.
Je n'ai pas toujours été bon avec elle, je n'ai pas été le plus attentif ni le plus respectueux. Je ne savais pas me comporter comme un homme dans de nombreuses situations. Mais depuis que je l'ai déposée - comme chaque jour depuis maintenant trois ans - elle est dans ma tête. Je l'aime comme au premier jour où je l'ai rencontrée. Elle a été là dans les bons comme dans les mauvais moments, elle a su me soutenir dans mes projets, mais aussi dans mes revers. Si je peux être ici aujourd'hui dans le sud, prêt à affronter une jolie tempête, c'est surtout grâce à celle qui a réussi à gérer un tel projet. Et à me gérer moi aussi. Parce qu'elle sait faire la différence entre notre travail et notre relation. Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à elle. Cela me motive à naviguer plus vite, à naviguer aussi proprement que possible et à revenir plus vite vers elle. Je veux que nous grandissions ensemble, que chaque jour passé ensemble soit une nouvelle aventure.
Il y a un adage qui dit : "Derrière chaque grand homme, il y a une femme". Je ne suis pas un grand homme. J'apprends à en être un. Ce qui est sûr, c'est que sans tout cela, je ne serais pas l'homme que je suis aujourd'hui. Je voulais vous parler de cet homme, car un navigateur en solo réfléchit beaucoup, se retrouve parfois dans des situations difficiles et en arrive souvent à se poser des questions sur la suite de la vie. Je ne sais pas si la navigation à la voile aura une suite pour moi. Cela ne dépendra pas que de moi. Ce qui est sûr, c'est que j'ai bien réfléchi : Je ne peux pas imaginer un jour de ma vie sans elle, je veux tout avoir ensemble. Et je veux que le monde entier le sache. Je suis triste de ne pas pouvoir être proche d'elle aujourd'hui, mais ma place est ici.
Elle me connaissait déjà de l'eau avec la barbe, alors que pour moi, le premier rêve venait juste de devenir tangible. Et me voici maintenant face à mon plus grand défi ! Participer à un Vendée Globe, ce n'est pas seulement faire une course au large. Moralement, c'est chaque jour plus dur : tu es plus fatigué, loin de ceux que tu aimes, dans le froid. Ton corps commence à comprendre que tu le maltraites chaque jour un peu plus. Mais je sais que j'ai changé ici. Quand je reviendrai, je ne serai plus le même.
Je vais devenir un homme, un vrai. Et j'ai trouvé mes réponses ici, que je n'aurais peut-être jamais découvertes à terre. Je sais que mes mots ne ressemblent pas à un message normal venant du bord. Mais il fallait que j'écrive ce que j'avais sur le cœur. Je devais dire au monde que j'aime cette fille et que je ne laisserai rien nous séparer. Et si je change bien ici, je reste quand même moi-même. Aujourd'hui, je voulais vous parler d'amour. Reconnaître un rêve, c'est absolument magique. Mais c'est encore mieux quand tu peux le partager avec quelqu'un. En écrivant tout cela, vous comprendrez peut-être mieux mon histoire. Et aussi que la Vendée n'est pas qu'une course. C'est une école de vie qui nous fait grandir très vite.
P.S. : La femme qu'aime tant Alan Roura, le plus jeune skipper vendéen actuel, âgé de 23 ans, s'appelle Aurélia. Les cinéphiles penseront peut-être au film d'amour britannique de Noël "Love Actually". Aurélia Mouraud est la dame de cœur d'Alan, la chef de projet et l'attachée de presse.